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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

au placis de la Prenessaye. À notre vue, les sentinelles présentèrent les armes ; Boishardy les salua par leurs noms, et nous entrâmes.


VI.

Le placis ou campement de la Prenessaye formait, au milieu de la forêt, une clairière de plusieurs arpens entourée d’abattis. Environ cent cabanes de feuillage avaient été bâties dans cette enceinte ; au milieu s’élevait un chêne immense, au sommet duquel brillait une croix d’étain. Un autel de gazon paré de fleurs des bois avait été dressé au pied de l’arbre.

Au moment où nous entrâmes, tout était en mouvement dans cet étrange village. On voyait les femmes moudre le grain aux portes, les vieillards fondre des balles près du foyer, les jeunes gens apprendre l’exercice à l’ombre du grand chêne. Les jeunes filles elles-mêmes étaient occupées à fabriquer des cocardes blanches ou à tresser des chapeaux d’une paille grossière. Nous venions d’entrer, lorsqu’un jeune paysan courut à nous.

— Les autres commandans sont-ils arrivés ? demanda mon compagnon.

— Aucun ne peut venir, répondit le paysan.

— Pourquoi ?

— Ils surveillent un débarquement à la côte.

— Qui te l’a dit ?

Mme Catherine.

— Catherine ! s’écria le chouan ; elle est ici ?

— Quand vous êtes arrivé, elle allait partir pour la ferme de Gouray.

Boishardy fit un mouvement.

— Que dis-tu ? balbutia-t-il en regardant le jeune paysan.

— Quelqu’un lui a parlé de Jeanne, répliqua celui-ci à voix basse.

Boishardy le prit par la main, l’entraîna à l’écart, et je ne pus entendre la suite. Ils causèrent un instant ensemble très vivement, puis tous deux se dirigèrent vers la hutte la plus éloignée.

Resté seul, je me mis à me promener en plongeant dans les cabanes ouvertes un regard curieux. Toutes se ressemblaient, et c’était pour toutes le même ameublement : des escabelles autour d’une table grossière, un lit de paille ou de mousse avec un bénitier de fayence au chevet, quelques vases pleins de lait, du pain noir, un berceau d’en-