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v.

J’avais suivi toute cette scène avec une curiosité mêlée de terreur, et bien avant que le vicomte eût nommé le prétendu maquignon, je l’avais reconnu à son langage ; mais, quoi que j’eusse entendu dire de la générosité de Boishardy, j’étais peu rassuré sur les suites de cette aventure. Je venais, en effet, d’assister à des débats qu’il avait tout intérêt à tenir secrets, et si j’étais aperçu, je pouvais craindre qu’il ne trouvât prudent de me condamner pour toujours au silence. Je demeurai donc immobile, retenant mon haleine et espérant qu’il se déciderait enfin à quitter le cabaret. Mais que l’on juge de mon étonnement, lorsque je le vis s’approcher du lit et ôter sa veste de velours. L’aubergiste, qui venait de rentrer, n’en parut pas moins saisi.

— Est-ce que mon maître veut se coucher ? demanda-t-il d’une voix troublée.

— Pourquoi non ? répondit Boishardy en délaçant ses brodequins.

— Mon maître est-il sûr que les bleus ne feront point de ronde cette nuit ?

— Le village est bien gardé, et tu veilleras.

Le cabaretier se gratta la tête ; il y eut une pause.

— Mon maître dormirait mieux chez Clerot, reprit-il enfin avec hésitation.

Boishardy leva la tête, regarda le lit fermé, puis le paysan, qui baissa les yeux.

— Il y a quelqu’un couché là, dit-il en saisissant vivement son fusil.

L’aubergiste recula.

— Qui est-ce, malheureux ?

— Un voyageur, balbutia le paysan.

— Son nom ?

— Il ne me l’a point dit.

Le chouan arma son fusil et fit un pas vers le lit ; je l’ouvris brusquement.

— C’est une vieille connaissance, maître Floville, dis-je en avançant la tête.

Le prétendu maquignon me regarda un instant, puis partit d’un éclat de rire.