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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

se tut : le jour était venu. Populus nous rejoignit avec sa troupe, et nous aida à faire l’inspection du champ de bataille. Nous trouvâmes une dizaine de morts et le double de blessés. Les plus maltraités furent placés dans les chariots, les autres montèrent en croupe des dragons, qui prirent avec nous le chemin de Loudéac.

Le jour venait de se lever, et les six ou huit cents hommes qui nous entouraient un quart d’heure auparavant, avaient disparu comme s’ils fussent tous rentrés sous terre. Rien qui pût mettre sur leurs traces, ni indiquer ce qu’ils étaient devenus. Ces landes où nous avions vu, peu d’instans auparavant, fourmiller tant de têtes, briller tant de mousquets, étaient maintenant désertes. De loin en loin, seulement, un paysan traversait la bruyère, sa faucille sur l’épaule, ou recouvrait de gazon la clôture d’un champ en friche.

— Vous voyez ces drôles qui nous regardent passer la bouche ouverte, dit Rigaud, interrogez-les, ils n’auront même pas entendu les coups de fusil que l’on vient de tirer : c’est tout au plus s’ils savent qu’il y a des chouans dans le pays ; mais fouillez bien les haies, et vous y découvrirez leur carabine anglaise ; prenez leurs mains, et vous les trouverez noires de poudre. Leur présence ici n’est qu’une ruse, leur sécurité de l’audace. La guerre, dans ce pays, est un vrai drame à travestissemens. Quand vous croyez mettre la main sur un chouan, vous trouvez un laboureur paisible, et à peine avez-vous tourné le dos, que le laboureur est redevenu chouan. C’est pour avoir regardé comme anéantis des ennemis dispersés, que nos généraux ont annoncé tant de fois la destruction des armées royalistes.

Nous arrivâmes de bonne heure à Loudéac, où le détachement s’arrêtait. Je pris congé du capitaine, et je continuai seul jusqu’au village de Lachèze. Les affaires qui m’y appelaient me retinrent assez tard pour que je me visse forcé d’y passer la nuit. Malheureusement, l’unique auberge du village était un cabaret où l’on me regarda d’un air étonné quand je demandai à souper ; ce fut bien autre chose lorsque je parlai d’y coucher. La maison entière n’avait qu’une pièce où se trouvait un seul lit clos pour le cabaretier ; je le décidai pourtant à me le céder moyennant un assignat de dix livres, et je me couchai.


IV.

Je ne puis dire depuis combien de temps j’étais endormi lorsqu’un bruit de voix me réveilla en sursaut. Je me rapprochai du mur en