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REVUE DES DEUX MONDES.

BOURSET.

Permettez, monsieur mon cousin, qu’oubliant le passé et me confiant dans l’avenir, je vous embrasse aussi.

(George, qui a reçu assez froidement l’accolade du duc, recule devant celle de Bourset.)
BOURSET.

Ma femme, embrasse aussi ton cousin. À présent, il n’y a plus de rancune possible.

JULIE, tendant la main à George.

Tout cela n’est pas nécessaire, monsieur ; il y a long-temps que j’avais reconnu Léonce.

BOURSET, inquiet.

Et maintenant, monsieur le chevalier, vous voulez être son gendre… Mais la chose n’est pas impossible… Quoique proches parens… on peut obtenir des dispenses, et le nom de Puymonfort se perpétuera dans la famille. (Regardant Julie avec intention.) À moins que ma femme ne s’y oppose…

JULIE.

Vous l’espérez en vain, monsieur, vous ne l’obtiendrez pas. Je consens à ce mariage de toute mon ame.

LE CHEVALIER.

Vous, Julie !

JULIE.

Oui, moi, qui priais hier soir M. Bourset de vous repousser, et qui aujourd’hui me repens de ce que j’ai fait hier. Votre peu de fortune me semblait un obstacle ; mais, depuis hier, j’ai fait bien des réflexions sur l’horreur des sacrifices qu’on fait à la vanité. J’ai songé à ce que souffrirait une jeune personne livrée par un contrat sordide à un homme qu’elle ne pourrait aimer. (Avec intention.) J’ai connu des femmes assez malheureuses pour avoir une peur insensée de la misère, et pour renoncer à une existence noble et sereine, par ambition, par faiblesse ou par lâcheté. Je ne veux pas que ma fille dévore les larmes et les affronts que j’ai vu dévorer à de telles femmes ! Je veux qu’elle regarde son époux avec un doux orgueil tous les jours de sa vie, et qu’elle puisse lui dire : Mon cœur t’a choisi, et ma raison approuve le choix de mon cœur. Ô ma pauvre Louise, je veux que tu n’aies point à rougir un jour du père de tes enfans !

BOURSET, à part, la regardant.

Voici une homélie que tu me revaudras ! (Haut.) Ainsi, vous consentez à ce qu’ils s’épousent ?

LE DUC.

Il faut bien que nous y consentions tous.

GEORGE.

Je n’y consens pas, moi. Nous sommes ici en présence quatre personnes qui nous sommes vues d’assez près autrefois pour n’avoir rien à nous dissimuler