Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/978

Cette page a été validée par deux contributeurs.
974
REVUE DES DEUX MONDES.

la porte, qui était demeurée entr’ouverte, fut poussée brusquement, et un homme tout bariolé d’écharpes tricolores parut sur le seuil. Mais à peine ses yeux eurent-ils rencontré ceux du marchand de chevaux, qu’il fit un bond en arrière.

Celui-ci s’avança vers lui en souriant.

— Eh bien ! compère, dit-il, tu ne t’attendais pas à me trouver ici ? C’est un coup du sort ; je comptais te faire une visite après souper.

— À moi ! s’écria le municipal, qui devint pâle.

— Ne sommes-nous pas de vieilles connaissances ?… car j’espère que tu ne me gardes pas rancune de notre dernière brouillerie ? Tu veux que nous restions amis ?

— Certainement ! certainement ! balbutia le municipal.

— À la bonne heure ! dis alors aux citoyens ce que tu as à leur dire ; puis j’irai te reconduire chez toi.

En parlant ainsi, le maquignon prit le pistolet qu’il avait laissé sur la table et l’arma avec une sorte d’insouciance nonchalante, comme s’il eût seulement voulu en essayer la batterie. Le capitaine, qui avait tout suivi de l’œil, attira à l’écart l’officier municipal.

— Connais-tu réellement cet homme ? lui demanda-t-il à demi-voix.

— Je le connais, répondit Durmel.

— Il fait le commerce de chevaux ?

— Oui… de chevaux.

— Et tu es sûr qu’il n’est point dangereux ?

— Sûr.

Le municipal avait fait toutes ces réponses les yeux fixés sur le Normand.

— Dépêchons, Durmel, dit celui-ci qui continuait à jouer avec son pistolet.

Le grand homme maigre chercha vivement dans sa poche un papier qu’il remit à Rigaud ; c’était le reçu des blés que celui-ci avait amenés à Uzel et devait y laisser. Le maquignon s’approcha alors de nous, et s’adressant au capitaine :

— Au revoir, citoyen, dit-il ; nous parcourons trop bien le pays tous deux pour ne pas avoir l’occasion de nous retrouver.

— La chose vous sera facile, répondit Rigaud sèchement ; je marche toujours au soleil.

— Moi je cherche l’ombre, lorsqu’il fait chaud, répondit ironiquement maître Floville ; mais on peut se reconnaître de loin. Bon voyage et bonne chance.