— Pardonnez-moi.
— Seul ?
— Avec le détachement de Lamballe, dont le capitaine va me rejoindre.
— Ici ?
— Ici.
Maître Floch fit un mouvement.
— Cela vous contrarie ? demandai-je.
— Nullement, reprit-il avec embarras ; mais tout manque dans le pays, et depuis quelques jours nous mangeons du pain noir.
— Depuis quelques jours nous n’en mangeons plus, observai-je.
— De plus, mon cidre vient de finir…
— On s’en passera.
— Et je n’ai qu’un lit…
— Nous le partagerons.
Le Normand se gratta l’oreille désappointé.
— Certainement… balbutia-t-il, si cela convient aux citoyens… mais j’ai peur qu’ils ne soient bien mal…
— Et le moyen d’être mieux ? demandai-je.
Il leva le coin de son tablier, tourna son bonnet et parut hésiter un instant.
— La nouvelle auberge au coin de la place est bien fournie, dit-il enfin.
Je le regardai avec étonnement.
— C’est-à-dire que vous désirez vous débarrasser de nous, maître Floch, m’écriai-je.
Il voulut protester.
— Laissez, dis-je en riant, je devine vos raisons : vous craignez que le capitaine Rigaud ne ressemble à tant de ses confrères qui, après avoir mis la cave et l’office au pillage, partent en oubliant de régler ; mais je vous réponds de celui-ci comme de moi-même.
Dans ce moment le capitaine entra.
— Vale hospiti, s’écria-t-il en saluant militairement maître Floch ; voilà ma meute au chenil, le piqueur peut se reposer maintenant.
Il entr’ouvrit sa redingote poudreuse, s’essuya le front et chercha une chaise ; l’aubergiste nous demanda si nous désirions quelque chose.
— Tout ce que tu auras, citoyen, répondit le capitaine ; j’ai une faim de Suisse et une soif de trompette ; deux verres d’abord et une bouteille de ce que tu voudras. Les vrais républicains sont plus habi-