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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

qu’il y avait ; ils ont mangé et bu, puis ils ont demandé où j’étais. — À Montcontour, a répondu Marianne, qui avait peur pour moi. — Il sera encore allé vendre son grain aux bleus, s’est écrié un chouan. La femme a voulu nier. La Roche s’est levé rouge de colère. — Le compte de ton mari est fait, a-t-il dit ; mais montre-nous d’abord où il cache ses écus. — La femme résistait ; ils lui ont ôté ses sabots pour mettre ses pieds au feu ; l’enfant a eu peur et a commencé à jeter des cris. Alors elle les a menés à l’étable, où était ramassé l’argent du loyer, et elle leur a tout donné. Ils se sont encore arrêtés pour boire en parlant bas ; enfin La Roche a fait signe d’emmener Marianne avec le petit, et ils s’en sont allés. J’ai alors voulu me lever pour les suivre ; mais ils avaient fermé la porte, et comme je cherchais à l’ouvrir, j’ai entendu tout à coup le chant du Veni Creator et une décharge c’était Marianne et mon pauvre enfant qu’ils venaient de tuer.

À ces mots, le paysan s’arrêta ; un frémissement douloureux agitait tous les muscles de son visage, et quelques larmes coulèrent lentement sur ses joues bronzées. Je n’avais pu retenir un cri d’horreur.

— Et les municipaux de Quessoy n’ont point porté plainte au district d’un tel crime ? demanda le capitaine.

— Nos municipaux sont tous égorgés ou en fuite, répondit Claude.

— Ainsi, il n’y a plus chez vous personne pour défendre les faibles et leur rendre justice ?

— Personne.

— Que ne cherchez-vous alors un refuge dans les villes ?

— Comment nous y nourrir ? Nous ne pouvons labourer les rues, nos bœufs ne peuvent brouter le pavé ; le paysan a besoin de la campagne pour vivre, comme le poisson de la mer.

— Et vous êtes forcés de quitter vos maisons tous les soirs ?

— Oui : ceux des côtes montent sur leurs barques et vont passer la nuit à la cappe ; mais nous autres, nous n’avons pour retraite que les taillis ou les blés.

— Ainsi c’est dans ce champ que tu te cachais ?

— Depuis près d’un mois.

— Tâche alors de trouver un nouvel abri, car nous sommes forcés de faucher ta chambre à coucher.

— Que voulez-vous dire ?

— Regarde.

Rigaud montra avec la poignée de son sabre les moissonneurs qui commençaient à faire tomber les épis sous leurs faucilles ; Claude jeta un cri de surprise et de saisissement.