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REVUE DES DEUX MONDES.

BOURSET, essayant de se remettre.

C’est une infâme imposture, quelque propos de valet… Si cela était, comment le sauriez-vous ?

GEORGE.

Voulez-vous que je vous le dise ? (Il l’emmène à l’écart et lui parle à voix basse.) Cette nuit, comptant retrouver votre femme et votre fille au bal, j’y étais allé avec vous ; mais, ne les voyant point arriver, et ne vous en voyant point inquiet, j’ai craint quelque attentat à l’indépendance et à la dignité de celle que j’ai prise sous ma protection envers et contre vous ! Je suis revenu ici sans être aperçu. Oui, monsieur, j’y suis revenu, je m’y suis introduit en même temps que vous, comme vous rentriez un peu avant le jour. Je me suis glissé dans l’ombre sur vos pas, je me suis assuré de la présence de Louise dans la maison, et comme je traversais cette pièce pour me retirer, je vous ai vu, là, comptant et recomptant des sommes qui suffiront bien, et au-delà, pour vous acquitter envers les actionnaires qui sont ici réunis ; car vous saviez l’arrêt d’avance, comme vous saviez, il y a un an, le discrédit où tomberait le papier aujourd’hui. Or, vous n’aviez pas été assez fou pour vous dessaisir des espèces qu’on vous a confiées, et vous ne vous en êtes rapporté qu’à vous-même du soin de les tenir cachées. Pourtant on fait des imprudences malgré tous les calculs ! Vous croyiez cette porte fermée, et elle ne l’était pas ; vous aviez regardé autour de la chambre, et vous aviez oublié de soulever ce rideau derrière lequel je me tenais… Allons ! exécutez-vous de bonne grâce… ou bien moi-même je vais faire jouer le ressort caché dans cette boiserie, et déployer à tous les regards l’aspect splendide de vos coffres-forts !

BOURSET, pâle et consterné.

Je… je paierai ce que je dois au duc, soyez tranquille. Mais si… si je vous donne ma fille… vous ne… direz pas aux autres que… que j’ai… de l’argent… caché ?…

GEORGE.

Je ne pense pas que mon devoir m’entraîne à cette rigueur. J’ai dû empêcher le nouveau mal que vous alliez commettre, mais il ne m’appartient pas de réparer celui qui est fait. Je ne suis ni magistrat, ni recors. C’est aux parties intéressées de se faire rendre justice, si elles le veulent, et à la police de vous y contraindre si elle le peut. Moi, je n’ai plus qu’à me taire, ma tâche est remplie.

BOURSET.

C’est bien… Monsieur, vous… vous en serez récompensé. (Au duc, qui examine la boiserie.) M. Freeman avait été induit en erreur, monsieur le duc. Je viens de lui prouver que je n’ai point d’argent caché.

GEORGE.

Non, sans doute ; celui que vous avez, vous ne le cachez pas. Allez le chercher (bas à Bourset), car vous en avez ailleurs encore.

BOURSET, terrassé.

J’y vais !

(Il sort.)