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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

défiance du cabinet de Berlin ; le refroidissement entre les deux cours avait amené le manque de concert entre les généraux ; puis, à la suite, des revers communs, des querelles scandaleuses et d’amères récriminations[1].

L’expérience ayant fait reconnaître aux coalisés les inconvéniens de la lenteur et de la tactique pédantesque qui avaient présidé jusque-là à tous leurs mouvemens, on résolut d’adopter pour la campagne de 1794 un plan plus hardi, d’après lequel l’armée des Pays-Bas devait marcher sur Paris sans s’arrêter aux places fortes intermédiaires. Ce système, qui aurait pu réussir les années précédentes, venait trop tard cette fois[2]. D’abord la convention ne pouvait plus être prise au dépourvu, et elle avait désormais à opposer à ses ennemis de formidables moyens de défense ; puis il manquait à la coalition un général en chef capable de faire taire toutes les rivalités et d’imprimer une direction une et forte ; enfin le découragement et la division régnaient dans les cabinets. Celui de Vienne, dirigé par Thugut, pensait moins à dompter la révolution qu’à arracher à la France quelques lambeaux de territoire, et ne prêtait point un concours sincère aux projets stratégiques dont on se berçait à l’armée. Le roi de Prusse, de son côté, était dégoûté de la guerre par l’issue des campagnes précédentes ; ses ressources étaient épuisées, et la tournure que prenaient les affaires de Pologne appelait de ce côté toute son attention. Déjà quelques démarches significatives pouvaient faire prévoir qu’il saisirait la première occasion favorable pour se retirer de la coalition. L’inaction calculée de ses troupes après le combat de Pirmasens permit à la convention de porter rapidement sur la Sambre une partie de l’armée de la Moselle et de déconcerter, par la supériorité des forces françaises, toutes les tentatives des Autrichiens. L’empereur François II, qui était venu à l’armée de Belgique, la quitta décou-

  1. Le duc de Brunswick demanda son rappel : sa lettre au roi de Prusse, datée du 6 janvier 1794, est fort remarquable : « Je n’espère pas, disait-il, qu’une troisième campagne donne des résultats plus avantageux, parce que les causes qui ont divisé jusqu’ici les puissances, entravé les mouvemens des armées et empêché les mesures nécessaires, n’ont pas cessé d’exister… Quand une nation comme la France est poussée à de grandes actions par la terreur et l’enthousiasme, il faudrait au moins unité de volonté et de principes dans les démarches des alliés ; mais quand au lieu de cela chaque armée agit pour soi, sans plan fixe, sans unité, sans système et sans méthode, les résultats seront toujours ce que nous les avons vus à Dunkerque, à Maubeuge, à Lyon, à Toulon et à Landau. »
  2. C’est ce qui inspira à Rivarol ce mot si vrai et si piquant : « Les coalisés sont toujours en retard d’une idée, d’une année et d’une armée. »