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REVUE DES DEUX MONDES.

qui peut l’avoir si bien informé ?… On l’interrompt !… C’est le comte de Horn… Celui-là me défend ! Oh ! ils ne perdront pas dans un instant l’estime que depuis vingt ans de travail et de persévérance j’ai su leur inspirer !… Ah ! maintenant ! des preuves !… oui, des preuves !… Est-ce qu’il en a ?… S’il en avait !… des preuves fabriquées !… des pièces apocryphes !… Ah ! comme ils lui répondent mal… que ce comte de Horn est borné !… qu’ils sont tous lâches et crédules !… Oui, l’acte de vente du privilége de Bourset pour cinq cents écus… pas davantage ! Je le sais bien !… qu’est-ce que cela prouve ?… Ils veulent le voir… ils le commentent… Que disent-ils ? des injures… contre moi… Mais on me défend… on me défend avec chaleur !… Qui donc me défend si bien ?…

LOUISE, écoutant aussi.

C’est la voix de George Freeman, mon père !… Oh ! c’est bien lui qui vous défend ! — Il dit que vous avez été le premier trompé… que vous serez la première victime de vos bonnes intentions !…

BOURSET.

Ah ! il dit toujours qu’il le suppose !… il ne dit pas qu’il en est sûr !

LOUISE.

On l’écoute, mon père !… Personne ne le contredit… Ah ! on vous connaît bien, allez !… et j’étais bien sûre que George ferait triompher la vérité. Oh ! c’est un noble cœur !

LE DUC rentre.

Eh bien ! mon pauvre Bourset ! nous voilà ruinés et vous comme les autres ! Nous avons fait là une grande équipée, et vous avez été diablement fou ; nous aussi !… Allons, je ne vous fais pas de reproches ; vous ne le vouliez pas, je m’en souviens. C’est moi qui me suis jeté là-dedans tête baissée !

BOURSET, reprenant son arrogance.

Ainsi donc, monsieur le duc, vous croyez aux hâbleries de cet homme-là ?

LE DUC.

Cet homme-là, Bourset ? C’est un homme que je respecte, et que vous devriez remercier à genoux, car un autre à sa place vous eût peut-être fort mal arrangé, et si vous n’aviez pas affaire à des gens d’honneur, vous auriez un mauvais parti à l’heure qu’il est. Savez-vous bien qu’on ne perd pas des millions de capitaux et des milliards d’espérances sans un peu d’humeur ? Moi-même j’ai été ému tantôt ; mais, puisque c’est fait, j’en prends mon parti ; j’ai un si doux sujet de consolation devant les yeux ! (Il regarde Louise, qui fait un mouvement d’effroi. — À George qui rentre, lui montrant Louise.) Merci, monsieur, vous m’avez fait plus riche que je ne l’ai été de ma vie.

GEORGE.

Oh ! ce n’est pas encore décidé, ne vous réjouissez pas trop vite, monsieur le duc ; je connais vos conventions avec monsieur Bourset. Il a bien un million à vous rendre, même avec les intérêts.

LE DUC.

Je ne le désire plus pour moi, et ne l’espère pas pour lui, pauvre Bourset !