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parut persuadé que cette acceptation avait été faite librement[1] : il écrivit dans ce sens à tous les souverains, et donna des ordres pour la dispersion et le désarmement des émigrés, malgré les vives réclamations des princes français, qui se plaignaient de la non exécution des promesses de Pilnitz. Frédéric-Guillaume agit dans le même sens et déclara qu’on ne ferait pas la guerre à la France si elle n’attaquait pas l’empereur et l’empire. Les deux cours étaient alors d’accord sur ce point, qu’il ne fallait pas provoquer la révolution au combat, mais seulement se tenir sur la défensive et prendre conseil des évènemens.

Pendant que les vues pacifiques prenaient le dessus à Vienne et à Berlin, il n’en était pas de même à Paris, où tous les partis poussaient à la guerre. Les royalistes la désiraient par suite de l’illusion qu’ils s’étaient faite dès le commencement sur la force de l’esprit révolutionnaire : ils pensaient qu’une armée désorganisée et abandonnée du plus grand nombre de ses officiers ne tiendrait pas contre les soldats aguerris de l’Autriche et de la Prusse, se présentant non en conquérans, mais en libérateurs, et ayant pour avant-garde la fleur de la noblesse française conduite par les frères du roi. La plupart des constitutionnels et une portion du ministère espéraient que la guerre réunirait tous les partis, rendrait quelque force au pouvoir, et, jetant à l’extérieur l’ardeur inquiète de la nation, leur permettrait de la discipliner et de s’en rendre maîtres. Les révolutionnaires exaltés, guidés par un instinct plus sûr, y voyaient au contraire un moyen de redoubler l’agitation intérieure, de rendre promptement le roi suspect de connivence avec les ennemis de la France, et d’arriver par là au renversement définitif de la monarchie. Aussi vit-on partir du club des jacobins les provocations les plus violentes contre l’empereur et contre tous les souverains : répétées dans le sein de l’assemblée législative par Brissot et par quelques autres, ces provocations entraînèrent bientôt cette assemblée, et par elle le ministère, à des démarches qui firent disparaître tout espoir de conserver la paix. Léopold, toujours décidé à ne pas prendre l’offensive, resserra son alliance avec la Prusse par le traité du 7 février 1792, et fit dans les Pays-Bas et dans le Brisgau des préparatifs de défense qui rendirent de plus en plus irritantes les relations diplomatiques entre la France et l’Autriche. La mort subite de ce prince précipita plutôt qu’elle ne l’arrêta la marche des évè-

  1. La captivité du roi était devenue moins rigoureuse depuis l’acceptation de la constitution, et le parti modéré parut un moment reprendre l’ascendant.