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fermentation dans les esprits, un profond dégoût de l’organisation sociale existante et je ne sais quel pressentiment d’un avenir inconnu dont la littérature nationale, alors dans tout l’éclat de la jeunesse, était souvent la vive expression[1].

Les pays catholiques de l’Allemagne ne furent pas moins remués que les pays protestans par les idées nouvelles, qui eurent cette fois pour instrument le fils de la pieuse Marie-Thérèse, le chef de la catholique maison d’Autriche, l’empereur Joseph II. Séduit plutôt par les doctrines philanthropiques et économiques de la philosophie contemporaine que par ses théories religieuses, ce prince voulut refaire à neuf, pour ainsi dire, les peuples dont la Providence lui avait confié le gouvernement, et crut pouvoir accomplir en quelques années ce qui ne peut être que l’œuvre des siècles. Jamais réformateur placé à la tête d’un grand empire ne fut plus entreprenant ni plus actif : législation, administration, éducation publique, finances, il bouleversa tout et réorganisa tout sur un nouveau plan[2] ; mais sa plus grande entreprise fut celle de changer dans ses états la discipline de l’église catholique et de substituer partout son autorité à celle du pape. Toutes les libertés ecclésiastiques étaient à ses yeux des abus, et il n’y en eut aucune sur laquelle il ne portât la main. On dit même qu’il eut quelque temps la pensée de se séparer de Rome ; mais la résistance du clergé à ses premières réformes, le mécontentement du peuple qui, dans les Pays-Bas autrichiens, se manifesta par des insurrections, mille obstacles de tout genre qui entravèrent l’exécution de ce que la théorie présentait comme si facile, l’éclairèrent sur les dangers d’une semblable entreprise : il s’arrêta au moment de franchir les dernières limites et fit même quelques pas en arrière. Sa première ardeur s’étant un peu refroidie devant les difficultés, il s’arrangea avec le pape, qui lui accorda à peu près tout ce qu’il demandait[3] : l’Autriche resta catholique et l’empereur, laissant un peu respirer l’église, porta d’un autre côté son zèle aven-

  1. Il suffit de citer l’Éducation du genre humain de Lessing, les premiers drames de Schiller, surtout les Brigands et Don Carlos, le Werther de Goethe, etc., etc.
  2. Dans les trois premières années de son règne, il avait déjà lancé trois cent soixante-seize ordonnances générales, applicables à tous ses états, sans compter celles qui ne s’appliquaient qu’à des parties séparées de la monarchie autrichienne. Il y a un Manuel sur les ordonnances rendues par lui de 1781 à 1786, qui remplit six volumes in-8o.
  3. Benoît XIV disait : « Je me réjouis quand les princes veulent bien encore me demander ce que je ne puis pas les empêcher de me prendre. »