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sur ce qu’était la constitution de l’empire à la fin du XVIIIe siècle. Le saint empire romain, tel était le nom qu’on lui donnait depuis le moyen-âge, se composait à cette époque de trois cent soixante-seize portions[1] de grandeur très inégale, dont chacune avait légalement une existence indépendante et ne tenait aux autres que par un lien de moins en moins étroit[2]. De ce nombre étaient deux cent quatre vingt-seize états d’empire (Reichsstaende), ayant une part directe à la souveraineté. Les autres ne conféraient pas à leurs possesseurs la participation au gouvernement, mais elles n’en jouissaient pas moins d’une véritable indépendance, parce qu’elles relevaient uniquement de l’empereur dont la suzeraineté était peu gênante.

Le chef de l’empire se distinguait par les titres les plus pompeux : il s’intitulait empereur des Romains, toujours auguste, et roi d’Allemagne ; il prétendait être le chef de tous les princes chrétiens et le vicaire de Dieu au temporel, prétentions fondées sur la constitution de l’Europe au moyen-âge, mais qui, même à cette époque, n’étaient jamais arrivées à une réalisation durable, et qui, au XVIIIe siècle, n’étaient plus qu’un vain souvenir. Il fallait qu’il eût été élu à la majorité des voix par les huit princes qui avaient la qualité d’électeurs. Pendant trois cents ans, la dignité impériale était restée dans la maison d’Autriche ; toutefois, depuis Matthias, l’empereur s’engageait toujours à ne pas tenter de rendre la couronne héréditaire dans sa famille. Du reste, le pouvoir impérial avait été réduit à si peu de chose, et les charges en surpassaient tellement les bénéfices, que personne n’était intéressé à disputer aux Habsbourg cette belle épouse sans dot qu’on appelait l’empire. Notre Henri IV disait déjà, à la fin du XVIe siècle, qu’il aurait mieux aimé être doge de Venise qu’empereur d’Allemagne, et, depuis l’époque où il tenait ce langage, la puissance du chef de l’empire n’avait pas cessé de décroître. Il serait plus long d’énumérer les droits qu’il n’avait pas que de dire ceux dont il jouissait. Aucune parcelle du territoire allemand n’était soumise à son administration immédiate. Il n’avait pas, à proprement parler, de sujets ; il ne possédait ni domaines, ni revenus, et Joseph II, en faisant revivre quelques vieilles taxes, ne put lever que la somme ridi-

  1. Ce chiffre serait bien plus élevé si l’on comptait comme partie intégrante de l’empire chaque terre immédiate comprise dans les quatorze cantons équestres. Le nombre de ces terres était de plus de quinze cents.
  2. Plusieurs de ces portions de territoire appartenaient souvent au même prince ; mais c’était un fait accidentel et variable qui ne les empêchait pas de conserver leur existence propre comme membres de l’empire.