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pierre ; Charlemagne, constituant l’Europe moderne sur la papauté et sur l’empire ; Napoléon, substituant à la hiérarchie féodale l’élément d’une organisation nouvelle, obscure encore, mais déjà puissante ; ces noms-là appartiennent à l’humanité tout entière, aucun peuple ne doit les revendiquer au point de vue d’une nationalité égoïste et jalouse.

Et c’est cette tombe si grande entre toutes que l’on aurait voulu jeter sur une place publique, au milieu d’une foule distraite et bruyante ; ce sont ces restes que l’émeute eût insultés de ses clameurs et qu’un patriotisme de caserne aurait inhumés au pied d’un monument tout militaire, comme ceux d’un soldat mort sur la brèche ! La France échappera, grace au ciel ! à cette double profanation de la mémoire des grands hommes et de la religion des tombeaux. C’est assez dans sa capitale d’une sépulture glacée, où la mort semble habiter sans consolation et sans réveil, et dont les hommes illustres à laquelle on l’a vouée se défendront par respect pour leur ame immortelle ! Saint Denis est plutôt la sépulture officielle des familles princières que le tombeau des grands hommes, fils de leurs œuvres ; c’est le blason perpétué dans la mort, l’étiquette héraldique assise au seuil de l’éternité. La Madeleine est un monument commencé sans but, exécuté sans inspiration, où toutes les croyances sont mal à l’aise, parce que toutes y sont faussées ; cette église, dont on pourrait faire à volonté un théâtre, une bourse ou un bazar, et que le peuple n’entoure pas plus de ses respects que de son silence, n’est pas un séjour assez austère pour recevoir le dépôt que l’Angleterre rend à la France en signe de réconciliation et de paix. C’est à l’ombre de la croix et non pas au pied des colonnes triomphales que les peuples libres se donnent la main, et une sépulture chrétienne peut seule, selon une noble parole, ensevelir à jamais ce qui survit encore de tant d’inimitiés séculaires.

Félicitons le gouvernement d’avoir dignement compris ce qu’il devait et à Napoléon et à la foi publique. L’empereur reposera dans un temple sanctifié par la religion comme par la gloire, sous la garde de ses vieux soldats, heureux et fiers de prier près de ses restes. Dans la solitude recueillie des Invalides, au milieu de ces masses de verdure, et sous le dôme étincelant que le voyageur salue de loin, s’élèvera une tombe imposante par sa masse et d’une simplicité grandiose. Que l’artiste chargé de préparer cette couche funèbre la creuse dans le granit de Corse et lui donne un bloc immense pour piédestal, qu’un aigle enserrant un globe y apparaisse comme unique emblème,