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REVUE DES DEUX MONDES.

Que cette idée fait de mal… elle donne la mort… Oui, je me sens mourir !… Maman !… J’étouffe !… Ah !… (Elle veut se lever, chancelle et retombe évanouie sur le fauteuil.)

JULIE, rentre avec le voile et la robe de novice.

Allons, Louise, du courage… Eh bien !… Elle ne répond pas… Louise… vous souffrez donc beaucoup ?… Comme elle est froide !… Oh ! je lui ai fait bien du mal… Oui, cela fait bien du mal, un premier amour brisé !… On en rit, on dit que ce sont des larmes d’enfant… On croit que le luxe, la parure, l’enivrement de l’orgueil, vous consoleront en un jour… On le croit soi-même… Et cela n’est pas vrai, on souffre long-temps… On souffre toujours !… On n’aime plus, mais on a honte de soi-même, et à chaque déception, à chaque douleur qu’on rencontre dans la vie, on se dit : C’est ma faute, j’aurais pu être heureuse… Je ne l’ai pas voulu… J’ai manqué de courage… J’ai eu peur de la misère !… Louise… Louise !… ma fille, ah !… je l’ai tuée… J’ai tué ma fille !… (Elle la saisit dans ses bras et tâche de la ranimer. Louise revient à elle-même, la regarde d’abord sans la reconnaître, puis se jette dans ses bras et fond en larmes.)

JULIE, pleurant.

Ma fille, vous êtes bien mal.

LOUISE.

Partons, maman.

JULIE.

Non, mon enfant, vous ne le pouvez pas… Je serais trop inquiète de me séparer ainsi de vous ; venez, vous allez vous reposer sur mon lit.

LOUISE.

Eh bien ! maman, comme vous voudrez. Allez au bal, j’attendrai votre retour.

JULIE.

Non, je ne vous quitterai pas. Jamais, jamais, je ne te quitterai plus…

LOUISE.

Oh ! que vous êtes bonne pour moi, maman ! vous m’aimez, vous ?

(Elle se jette à son cou.)
JULIE.

Et si je vous aime, Louise, vous vous consolerez, n’est-ce pas ?

LOUISE.

Oh ! maman, je l’aurais haï, mais je l’aimerai pour m’avoir rapprochée de vous aujourd’hui ! Ah ! j’étais bien ingrate de douter de votre cœur ! il sera mon refuge dans l’avenir !

JULIE, à part.

Et le tien sera mon refuge aussi contre le passé. (Haut.) Viens dans ma chambre ; tu dormiras, je veillerai près de toi. (À part et soutenant sa fille dans ses bras.) Mon Dieu ! voici pourtant une idée de bonheur ; pourquoi ne l’avais-je pas encore comprise ?