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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

taurer la comédie comme il avait restauré la tragédie, ce bilieux de génie se trouva seulement avoir dramatisé la satire. Son rire n’est jamais franc, son dialogue manque de naturel et de gaieté, et dans tout son recueil on ne rencontre pas une situation vraiment comique. En revanche, les plaisanteries cruelles, les sarcasmes amers, les virulentes tirades, y abondent. C’est de la comédie misantropique, comédie triste, où la passion politique, la colère impuissante, le désespoir même, percent à chaque scène, et où le poète semble s’être moins proposé d’égayer le spectateur que de lui faire partager sa mauvaise humeur. La conclusion de ces comédies d’Alfieri est curieuse et montre toute l’amertume de la pensée qui les a dictées. L’auteur s’adresse au public et lui dit : — Maintenant, sifflez tant que vous pourrez ; sifflez l’auteur, sifflez les acteurs, sifflez l’Italie, sifflez-vous vous-même, car vos vertus ne méritent que des sifflets ! — Ces comédies n’ont jamais été jouées ; la censure des gouvernemens italiens s’est toujours opposée à la représentation.

Ce qui fait le succès des théâtres populaires où se joue la comédie bouffonne, la comedia dell’arte, c’est que par son essence cette comédie est plus libre et plus vraie. Improvisée en partie, et par conséquent variable et fugitive comme la parole, elle échappe à la censure et fraude facilement ces douanes de la pensée. Il n’y a pas de milieu, il faut lui laisser une certaine liberté d’allure ou l’interdire absolument, et les gouvernemens ne l’oseraient pas. Stentarello, Cassandrino et Pulcinella ont, chacun chez lui, droit de bourgeoisie. Ils ont des amis, des partisans, une nombreuse clientelle, et jouissent des priviléges de tout citoyen. Ils ne peuvent donc être brusquement condamnés et mis à mort, sans que les sympathies populaires ne se soulèvent en leur faveur. Les proscrire, ce serait du même coup étouffer une dernière étincelle de liberté et frapper le peuple dans l’objet de ses vieilles et joyeuses affections ; que sais-je ? ce serait peut-être provoquer une émeute et braver une révolution, car, nous n’en doutons pas, de si chères victimes auraient des vengeurs.

Mais d’où naît cette vive affection de la nation pour ces bizarres personnages ? De leur bonne humeur d’abord, et puis de leur manière de vivre et de leurs goûts sympathiques. Sortis du sein du peuple et créés à son image, ils ont ses passions et ses faiblesses, ils s’agitent dans le même milieu et vivent de sa vie.

Stentarello, Cassandrino, Pulcinella, et toutes ces créations bouffonnes et typiques des Italiens, doivent à cette ressemblance avec le peuple et à cette parité de sentimens un sens moral tout particulier.