Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/855

Cette page a été validée par deux contributeurs.
851
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

et de persistance il ne vous sera pas difficile de vous introduire chez elle et d’arriver à votre but. Adressez-vous d’abord à quelques-unes de ces femmes adroites qui, moyennant un petit présent, se chargent d’arranger ces sortes d’affaires, qui portent les billets, sollicitent les rendez-vous. Tenez, je me rappelle qu’avant mon mariage la signora Smeraldina, cette aimable marchande de rubans de la rue de Tolède, était renommée pour son adresse. Elle m’a rendu bien des petits services de ce genre, ajoute-t-il en se rengorgeant, et en redressant coquettement la tête de façon à faire voler autour de lui la poudre de sa perruque. Son commerce lui donne occasion de fréquenter les maisons de nos jeunes femmes, et, pour peu qu’un cavalier soit libéral, elle se charge volontiers de toutes ses galantes commissions.

— Je ne demanderais pas mieux que d’être libéral, mon cher maître ; mais mon père est un vieil avare, et ma bourse est peu garnie.

— Qu’à cela ne tienne, mon ami, je puis mettre à votre disposition quelques ducats : n’êtes-vous pas mon élève de prédilection ? ne pratiquez-vous pas d’après mes conseils ?

Pulcinella remercie son cher professeur, et détache la Smeraldina vers sa belle. Celle-ci porte les billets et les demandes de rendez-vous ; mais elle rencontre une résistance inattendue. Le pauvre Pulcinella est désolé ; il s’adresse encore à son professeur, car il a grand besoin, sinon de ses avis, du moins de ses consolations. Celui-ci relève son courage.

— Le fruit qui a de la saveur tombe-t-il de l’arbre à la première secousse ? lui dit-il. Per Dio ! mon cher, vous êtes un heureux mortel, vous aurez découvert quelque attrayante novice, une véritable rareté. Du courage, mon enfant, du courage ! laissez maltraiter votre ambassadrice ; que les injures, les soufflets même ne la rebutent pas, et vous verrez qu’à la fin la sauvage s’apprivoisera. Les meilleures citadelles ne capitulent qu’après un siége dans toutes les formes.

Pulcinella suit encore les conseils de don Procolo, et obtient enfin un rendez-vous. Lorsqu’il revoit son professeur, il est ivre de joie. Il se jette à son cou, fait mille folies. — Ce soir il doit être le plus heureux des hommes, sa chère Lucinda a cédé enfin à ses instances, et promet de le recevoir. — Don Procolo, en entendant le nom de Lucinda, est attéré ; son visage a pâli et a pris la couleur jaune du parchemin de ses bouquins, Lucinda !… c’est le nom de ma femme, se dit-il à part lui, en se grattant le front. Il a bonne envie d’éclaircir