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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

dies de Cozenza sont du petit nombre de celles qui ont eu cet honneur. Ces pièces d’élite sont en général fort médiocres. La plupart n’ont dû leur succès qu’à l’excellence d’un acteur ou à la nouveauté de situations aujourd’hui fort usées.

À Naples, ainsi qu’à Rome et à Florence, les théâtres populaires sont les seuls qui offrent quelque intérêt comme peinture de mœurs. Cet intérêt roule surtout sur deux personnages fort connus : Scaramouche et il signore Pulcinella.

Scaramouche est un gentilhomme qui sent tant soit peu le sac et la corde ; il est marquis, duc, prince même, et seigneur d’immenses domaines qui n’existent que dans son imagination. Scaramouche a la tournure d’esprit et la morale plus que relâchée de Casanova, ce roi des chevaliers d’industrie ; il a son jargon, son adresse et son insolence. A-t-il sa décision et sa bravoure ? Nous en doutons fort, bien qu’à l’entendre il adore le péril et qu’il soit toujours prêt à croiser l’épée. Scaramouche descend en ligne directe du fameux capitaine. Il a partagé ses dépouilles avec son compagnon Pulcinella. Ce dernier lui a pris son grand chapeau pointu, son justaucorps bigarré et sa belle fraise ; Scaramouche, lui, s’est adjugé le sabre avec lequel son aïeul a pourfendu tant de géans et tué la Mort en personne. Ce sabre, il le tient en réserve, attendant quelque bonne occasion de s’en servir, et, comme on le pense bien, cette occasion ne vient jamais, car Scaramouche est à peu près aussi brave que le capitaine ; il appelle le danger à grands cris, et quand le danger vient, il décampe le plus lestement du monde. Le capitaine était antérieur à la domination espagnole ; nous le croyons contemporain de tous ces formidables chefs de bandes italiens qui se distinguèrent à Anghiari[1] et dans ces fameuses rencontres où un cheval qui tournait la tête ou la croupe suffisait pour faire gagner ou perdre la bataille. C’est Machiavel qui nous l’assure.

Sous ses nouveaux maîtres, le capitaine se transforme en matamore ; il bredouille le castillan, prend la morgue espagnole et se corrige le mieux qu’il peut de sa poltronnerie. C’est alors qu’il ne passe guère de journées sans tuer un Maure, confondre un nécroman ou séduire quelque princesse. L’étoffe des turbans des infidèles qu’il a décapités lui sert à habiller ses valets, et il se fait faire une cotte de mailles avec

  1. À Anghiari, on combattit quatre heures entières avec le plus grand acharnement ; le pont d’Anghiari fut emporté à diverses reprises par les deux armées, et cependant il n’y eut de tué qu’un seul homme qui tomba de cheval et fut écrasé par la gendarmerie.