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lazzaroni, aujourd’hui, sont vêtus à peu de chose près comme la populace de toutes les grandes villes d’Europe ; ils ont endossé la vieille défroque des classes plus aisées de la population ; il n’y a guère que les pêcheurs qui aient gardé le costume national, c’est-à-dire le caleçon pour unique vêtement, et qui aient encore l’aspect africain ; le reste du peuple, en se civilisant, est devenu vulgaire ; sa misère même a perdu sa poésie.

La révolution dans les habitudes et les mœurs a été moins complète que la révolution dans le costume, et, si l’extérieur a changé, le caractère est resté à peu près le même. Il existe encore à Naples des hommes qui n’ont jamais su leur nom, des espèces de morts civils par négligence ou par oubli, incapables d’acquérir ou de tester parce qu’ils ne peuvent établir leur identité. La canaille y est toujours maîtresse en l’art de crier, et, depuis qu’elle connaît le prix de l’argent, elle l’est devenue en l’art de mendier. Ces hommes oisifs par goût et paresseux par tempérament comprennent aujourd’hui la nécessité du travail ; mais je doute fort qu’ils en aient jamais l’amour. Ils préfèrent encore un jour de gêne et même de jeûne à une heure de labeur pénible ; et, si nous nous étonnons de cette manière d’être, ils s’étonnent bien plus de nous voir travailler pour le plaisir de travailler. — Cet homme est bien heureux, il a de l’ouvrage, disent les gens du peuple à Paris. Les Napolitains ne voudraient pas d’un pareil bonheur. Du moment qu’on a de quoi dîner, pourquoi se donner tant de peine et penser au lendemain ?

Quoique le travail soit antipathique à la moitié au moins de sa population, Naples a cependant l’air d’un grand atelier. C’est qu’au lieu de s’enfermer entre quatre murs, chacun descend dans la rue et s’y établit pour faire sa besogne ou pour vendre sa marchandise ; les boutiques et les étalages se touchent, les métiers se confondent ; tourneurs, serruriers, menuisiers, tailleurs, vivent et travaillent pêle-mêle. Tous ces ouvriers rient, chantent, crient, s’injurient, se collettent ; c’est une rumeur assourdissante, un mouvement incessant ; c’est aussi un spectacle des plus gais, car ces gens-là travaillent sans ennui ; la plupart, il est vrai, ne sont Napolitains que de nom et par occasion : ce sont des gens de métier venus souvent de tous les coins de la péninsule, ce ne sont plus les lazzaroni d’autrefois.

L’imagination du peuple a moins changé encore que son caractère ; elle a conservé la même vivacité bouffonne et la même fécondité. Son langage est toujours expressif et coloré. Les hommes des faubourgs et du port vivent comme des bohémiens, ont le langage figuré de