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PORT-ROYAL.

le dogmatisme reste stationnaire. On dirait que dans ces sphères élevées le génie de l’humanité conçoit d’un seul coup tout ce qu’il est capable de produire, et que par un unique élan il arrive au terme de ses forces. Un classificateur intelligent pourrait diviser l’histoire comparée des religions et des philosophies, sous les chefs peu nombreux de certaines propositions fondamentales qui contiennent toutes les possibilités connues de la pensée. Cependant, autour de ces affirmations puissantes qui font la vie d’une religion, ou qui constituent un système, viennent se ranger pour l’attaque ou pour la défense les facultés et les passions humaines, le raisonnement, l’imagination, l’enthousiasme, l’intérêt, et voilà l’histoire proprement dite qui commente. Les orages dont les scènes de la nature nous donnent le spectacle ne troublent que les régions moyennes de l’air ; plus haut le calme règne, et les espaces sublimes échappent aux éclats de la foudre, au déchirement de la nue. Il en est ainsi dans le monde des idées : la guerre et la discorde ne siègent pas sur la cime ; pour les rencontrer, il faut descendre. Le vrai théosophe et le grand métaphysicien ne disputent pas ; ils voient, et là où ne pénètre pas la science, ils s’élèvent à la vérité par cette foi de l’intelligence qui est le signe d’une sympathie naturelle entre l’homme et Dieu. Mais au-dessous de ces rares et tranquilles génies, les discussions commencent, le raisonnement s’aiguise et s’exerce, la sophistique humaine se déroule ; elle est inépuisable, elle a des subtilités et des argumens pour toutes les opinions et toutes les erreurs. Pendant que la logique raffine à l’excès, de son côté l’imagination s’échauffe ; elle se monte, elle s’exalte, elle a ses caprices, ses aberrations ; elle enfante mille fantaisies qui étendent sur le sanctuaire un voile épais et brillant. C’est souvent plus pour ces accessoires que pour le fond même qu’on voit les hommes se passionner. Enfin si l’intérêt se mêle à tous ces mobiles, si de grandes situations politiques, si la possession du pouvoir et des richesses, dépendent de la tournure que prendront les débats institués au nom des idées, le trouble et la confusion seront au comble, et il se trouvera que l’église et l’école, au lieu d’instruire l’état, le déchireront.

On le voit, dans les questions religieuses et métaphysiques, il n’est pas facile à l’esprit humain de faire des progrès en profondeur, et de pénétrer au-delà des dogmes et des axiomes une fois conçus. Mais on dirait qu’il a résolu dans notre siècle de tourner la difficulté ; il ne se perd plus dans les subtilités et les mystères d’un problème spécial, il embrasse toutes les questions, il les suit à travers tous les siècles