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Quelques jours plus tard, une foule d’habitans se pressaient le long de la plage. Ils étaient venus de tous les quartiers de l’île en apprenant l’arrivée du nouveau gouverneur et le départ de la petite reine. Les regrets et l’attendrissement étaient universels ; en ce moment on ne se souvenait que de la bonté, de la justice, des nobles qualités de Marie ; ceux-là même que l’idée d’être gouvernés par une femme avait le plus révoltés, la pleuraient maintenant. Tous les canots de la rade étaient en mouvement autour de L’Amphitrite, qui allait transporter la petite reine et sa suite à la Guadeloupe, où elle devait s’embarquer sur le Saint-Nicolas de Bordeaux. Les noirs chantaient sur un air monotone et plaintif des paroles improvisées ; tous aimaient cette jeune femme, dont ils n’avaient jamais aperçu que de loin le doux visage ; ils la pleuraient, car ils savaient qu’elle avait souvent jeté sur leurs misères un regard de compassion, et qu’elle les protégeait contre l’oppression des blancs. La petite reine entendit la messe dans la chapelle où une année auparavant elle avait à pareil jour épousé secrètement le marquis de Maubray ; son ame était pleine de joie et d’espoir ; il lui semblait que cet anniversaire devait lui porter bonheur. Après avoir fait ses dévotions, elle descendit vers la plage, accompagnée de tous les gens de sa maison qui la suivaient en France. Une longue acclamation s’éleva à son aspect ; la foule éplorée se pressa sur son passage avec mille bénédictions et mille vœux. Marie, tout à la fois triste et radieuse, mit une main sur son cœur et salua cette multitude inconstante, qui, un mois auparavant, l’avait vue traînée en prison, et ne s’était point levée pour la délivrer. Elle était d’une extrême pâleur, et elle se soutenait à peine. Le gouverneur lui donnait la main ; mais elle était si faible, qu’il lui fallait aussi s’appuyer au bras du docteur Janson. Lorsqu’elle fut entrée dans le canot qui devait la transporter à bord, elle se retourna et fit encore un signe de la main. Alors les sanglots éclatèrent ; la foule tendit les bras vers elle en criant :

— Vive ! vive la petite reine !

— Adieu, adieu, dit-elle en jetant un long regard sur cette terre où elle avait régné, où elle avait tant souffert ; adieu ! la France ne me fera jamais oublier cet autre côté du monde.

Le comte de Loinvilliers n’était pas venu faire ses adieux à la petite reine ; seul et caché derrière les remparts, il la vit s’embarquer et quitter pour toujours la Martinique. Quand le canot eut abordé L’Amphitrite, quand Marie eut quitté le pont, après avoir une dernière fois salué la foule immobile sur le rivage, Loinvilliers appela Ricio.