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MARIE D’ÉNAMBUC.

Marie s’était assise ; elle détourna la tête et fit signe à Loinvilliers de sortir. Alors il se mit à ses genoux, il lui parla encore long-temps avec des transports d’amour, de fureur, avec menace, avec prière ; mais elle fut inébranlable. Le comte la quitta enfin, irrité, désespéré de ses refus et résolu pourtant à la sauver.

La situation de la petite reine était affreuse ; les auteurs de cette rébellion s’étaient trop compromis pour ne pas aller jusqu’aux dernières extrémités, si Marie ne signait l’acte qui les investissait légalement du pouvoir. Mais Loinvilliers les surveillait, et il leur suscita des embarras qui ne leur laissèrent pas le temps d’arriver à leurs fins ; il agit sourdement auprès des capitaines de paroisse qui déjà voyaient avec inquiétude les embarras du nouveau gouvernement ; il se servit de l’influence toute puissante du clergé pour ramener les petites gens ; il réclama enfin hautement la liberté de Marie. Cependant la petite reine était toujours étroitement gardée. Aucune nouvelle de ce qui se passait au dehors ne lui était transmise, et Loinvilliers lui-même ne put parvenir une seconde fois jusqu’à elle. Un jour enfin la porte de sa prison s’ouvrit, et elle vit entrer le docteur Janson ; le pauvre homme était blême et défait.

— Oh ! mon vieil ami, s’écria-t-elle toute en larmes, c’est vous ! que vous ont-ils donc fait, grand Dieu !

— Ils m’ont enfermé là-bas dans une chambre noire, répondit-il piteusement, depuis un mois ; et vous, madame ? Oh ! les infâmes, vous traiter ainsi ! mais ils ont peur à présent. Sigaliz et les autres se sont enfermés dans le fort ; il y a une assemblée au quartier du Prêcheur, le comte de Loinvilliers s’y est rendu ; d’un moment à l’autre, les choses peuvent changer de face.

— D’un moment à l’autre il peut arriver un navire de France ! s’écria Marie avec un accent indicible de confiance et d’espoir. Docteur, il y a aujourd’hui onze mois que Maubray est parti.

En parlant ainsi, elle était pâle, animée, et ses prunelles brillantes semblaient se dilater. Le médecin lui prit le bras et se mit à compter les pulsations de l’artère avec une attention inquiète. Elle sourit et dit en étendant la main du côté de la mer : — Maubray m’attend là-bas, j’irai. Vous m’y conduirez, docteur. — En ce moment, un grand tumulte s’éleva du côté du fort ; on entendait le roulement des tambours et un bruit confus. — Sainte mère de Dieu ! on va se battre ! s’écria Marie. Il y eut un moment d’angoisse et de cruelle attente : le bruit approchait.

— On vient vous délivrer, madame ! s’écria le docteur.