Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/800

Cette page a été validée par deux contributeurs.
796
REVUE DES DEUX MONDES.

parcourut la prison du regard ; puis ses yeux s’arrêtèrent sur Marie avec une amère joie. Combien de fois, dans l’égoïsme cruel de son amour, il avait souhaité la voir ainsi seule, abaissée, abandonnée de tout secours humain ! Il crut réduire enfin, sinon le cœur, du moins la fierté de cette femme, dont le salut dépendait en ce moment de lui, et dit en se rapprochant de Marie :

— Je viens à votre secours, madame…

— Vous ! interrompit-elle avec un geste de doute et presque d’effroi.

— Savez-vous ce qui se passe ? reprit-il ; les rebelles sont maîtres du fort et de la ville ; ils ont nommé des magistrats, des officiers nouveaux… ils ont rédigé un acte par lequel vous renoncez à vos droits et à ceux de votre fils…

— Cet acte, le voilà, répondit-elle en montrant le papier placé sur la table.

— Ils l’ont apporté pour vous le faire signer, ils l’ont laissé… eh bien ?

— Eh bien ! dussé-je mourir ici, je ne rachèterai pas ainsi ma liberté, ma vie.

— Mais vous pouvez échapper autrement à ces misérables, s’écria Loinvilliers ; j’ai gagné vos gardes, mes Espagnols nous attendent au bord de la rivière des Pères. Au point du jour, nous serons en sûreté dans les Mornes, et alors, savez-vous ce que je ferai, Marie ? J’enrôlerai tous les flibustiers de ces îles ; mon oncle le baron de Poincy m’enverra des troupes de Saint-Christophe. Avec toutes ces forces réunies, j’attaquerai les rebelles, je les traiterai comme j’ai traité les peaux rouges. Vous serez vengée, Marie ! le voulez-vous ? Alors il faut vous fier à moi, il faut me suivre.

— Non, répondit-elle, non ; car qui sait quel prix vous mettriez à votre dévouement ?

— Le plus haut prix, je l’avoue, s’écria Loinvilliers ; j’exigerais une promesse, un serment que vous accompliriez quand vous seriez revenue ici victorieuse et vengée.

— Je n’ai donc plus d’espoir qu’en Dieu, dit-elle en baissant la tête ; je ne vous suivrai pas, monsieur.

— Marie, au nom du ciel, par pitié pour vous-même, s’écria Loinvilliers, venez, le temps presse ; mais vous me haïssez donc plus que la mort ? Ces misérables vous tueront ; qui peut vous sauver si ce n’est moi ? Quel secours pouvez-vous attendre dans cette île séparée du reste du monde par les abîmes immenses de la mer ?