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REVUE DES DEUX MONDES.

— Nous l’empêcherons aisément d’aller ce matin à l’église du Mouillage, dit le docteur, mais on attendra une autre occasion.

— J’entourerai Mauhray de ma garde, et d’ailleurs il y a une justice ici, je puis encore faire arrêter et punir ceux qui trament la rébellion et l’assassinat.

— Non, vous ne le pourrez pas, madame, s’écria le moine ; il ne faut plus songer à un coup d’autorité ; vous perdriez tout peut-être, et même la vie, sans sauver M. de Maubray. On m’a révélé tout le complot… Des gens de votre propre maison y ont trempé… Vous ne pouvez plus vous fier aux capitaines de paroisse ; ceux du Prêcheur, du Carbet et du Lamantin étaient cette nuit chez M. de Loinvilliers, et ils ont répondu des autres. Toute cette trame a été conduite avec tant de prudence et de secret, qu’il a fallu une faveur de la Providence pour la découvrir… C’est un des Espagnols qui m’a tout révélé en confession. Pour vous convaincre de l’imminence et de la grandeur du péril, je n’ai qu’un mot à ajouter : c’est le comte qui est l’ame du complot, il dirige tout ; vous le connaissez, et vous savez s’il est homme à différer long-temps et à manquer sa vengeance.

Tandis que le moine parlait, Marie marchait avec agitation, le regard fixe, les mains croisées ; de temps en temps elle s’arrêtait devant la fenêtre et regardait la mer.

— Il faut sauver Maubray, dit-elle, et pour le sauver il n’y a qu’un moyen… le Saint-Malo met à la voile demain au point du jour.

— Vous voulez partir, madame ? vous voulez retourner en France ? interrompit le moine.

— Non, non, pas moi, mon père, répondit-elle, mais Maubray… Je lui confierai mon fils ; et vous-même, vous l’accompagnerez, chargé d’une mission près du roi. Je resterai ici, j’y resterai seule, sans craindre le comte ni aucun de mes ennemis : mon espoir est que la bonté du roi abrégera cette situation.

— Je ne vous comprends pas, madame, dit le moine avec un profond étonnement.

— Les dépêches que je vous remettrai vous expliqueront tout, répondit-elle avec calme. Maintenant, mon père, retournez à l’église du Mouillage : j’y serai dans une heure.

Quand le père Du Tertre fut sorti, Marie se rapprocha du médecin.

— Docteur, dit-elle, je ne veux pas faire mes adieux à Maubray. En prononçant ces mots, sa fermeté l’abandonna tout à coup, et elle fondit en larmes.

— Non, reprit-elle, non, je ne le reverrai pas, je ne le pourrais