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MARIE D’ÉNAMBUC.

chaînés, de manière qu’il ne pouvait faire un pas ni seulement joindre les mains. Une casaque d’esclave lui couvrait les épaules, et ses longs cheveux d’un blond vif retombaient par derrière sur ce grossier vêtement ; la lampe allumée devant l’autel éclairait en plein son visage ; il avait l’air calme et recueilli. Au bruit que fit Marie en entrant, il ne tourna pas la tête, et elle put s’avancer sans qu’il la vît. Quand elle se trouva près de lui, elle le considéra un moment avec une ardente émotion ; elle reconnut lentement, et le cœur plein d’une compassion profonde, d’une immense joie, ces traits amaigris, cette belle chevelure, ce noble port de tête que tant de misères, de souffrances et d’ignominies n’avaient point changé ; puis elle vint s’agenouiller à son prie-dieu.

— Maubray ! dit-elle doucement et en se tournant vers lui.

À cette voix, il tressaillit, ses lèvres devinrent pâles, et il s’écria en essayant de joindre les mains :

— Marie, chère Marie ! Dieu du ciel, est-ce une vision ?

— C’est moi, dit-elle d’une voix brisée par l’excès de son émotion, c’est moi, Henri, je viens vous sauver. Oh ! béni soit Dieu, qui permet que j’arrive à temps ! rendons-lui grâce, Henri.

Elle se recueillit et pria un moment les yeux levés au ciel ; puis elle reprit en tendant la main au prisonnier : — Levez-vous, Maubray, levez-vous et venez avec moi. — Il se souleva avec effort, et elle s’aperçut qu’il pouvait à peine marcher, tant il était affaibli et étroitement lié ; alors elle le soutint, et, le regardant avec des yeux pleins de larmes, elle ajouta : Appuyez-vous sur moi, Henri… Oh ! comme vous avez souffert, hélas ! et moi aussi !

— Oh ! Marie, Marie ! c’est vous, dit-il en serrant contre sa poitrine la main qui le soutenait ; puis, succombant à cette violente émotion de joie, il s’arrêta et fixa sur Marie un regard éteint.

— Henri ! s’écria-t-elle, Henri, vous pâlissez !

— Un moment de faiblesse, répondit-il ; pourtant, j’étais calme tout à l’heure en face de la mort ; mon cœur ne battait pas plus vite… je ne tremblais pas… mais à présent je me sens défaillir… Oh ! Marie, ce bonheur si inespéré, si grand, est au-dessus de mes forces, j’y succombe… Marie, je suis faible… j’aurais peur de mourir à présent, je veux vivre… Mais savez-vous que je suis condamné, condamné à un supplice infâme, que la potence est dressée, que je n’ai plus que cette nuit ?

— Oui ! s’écria-t-elle, mais je suis ici.

La suite de Mme d’Énambuc s’était arrêtée au seuil de la chapelle ;