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MARIE D’ÉNAMBUC.

des sultans. Les noirs, accourus sur son passage, criaient : Vive la petite reine ! Partout les milices des paroisses étaient sous les armes. Les colons dont elle traversait les possessions venaient lui offrir des présens et la complimenter. Mais, le second jour de son voyage, elle se trouva dans les solitudes jadis habitées par les peaux rouges et que nul visage blanc n’avait jamais traversées. La caravane défila lentement au milieu de ces vastes savanes, de ces bois où il n’y avait d’autre chemin que le lit desséché des torrens. La nuit, il fallut dresser un ajoupa, et Mme d’Énambuc dormit avec son fils sous un toit de feuilles de balisier, planté sur quatre piquets. Ainsi que l’avait prévu le docteur, le mouvement du voyage la ranima, et l’aspect de cette nature calme et riante reposa son ame. La morne douleur, l’abattement profond où elle était tombée, se changèrent en une tranquille mélancolie. Elle oublia les soucis du présent, les inquiétudes mortelles de l’avenir ; un vague espoir la releva, elle se sentit un moment revivre.

Le soleil couchant ne jetait plus que d’incertaines lueurs derrière les mornes, lorsque la caravane arriva sur les éminences qui dominent la pointe du Vauclain. Nulle parole ne peut décrire les admirables beautés du paysage qui s’offrit alors aux regards de Mme d’Énambuc. À travers le doux crépuscule qui voilait la terre et le ciel, elle vit à ses pieds des savanes dont la fraîche verdure lui rappela les prairies de notre France, de grands arcs de feuillage formés par une forêt de palmiers ; puis, au-delà, l’océan, l’océan immense, qui brisait sur les récifs ses vagues sombres et frangées d’écume. Des parfums ravissans s’exhalaient de cette terre féconde ; un air plus frais et plus vif agitait les profondes ramées où gazouillaient encore les oiseaux.

— Nous voici dans la terre promise, s’écria le père Du Tertre saisi d’une réminiscence biblique, nous voici dans la vallée d’Ébron.

— Il n’y manque rien que les troupeaux et les patriarches, murmura le médecin, et les nègres qui travaillent là-bas ne ressemblent guère à un peuple pasteur.

En effet, une cinquantaine d’esclaves courbés au milieu d’un champ de cannes et frappant la terre en mesure, sous les ordres de leur commandeur, ne rappelaient nullement les paisibles bergers de Jacob. Sur la lisière du terrain qu’ils exploitaient, s’élevait une grande case couverte de feuilles de latanier et ombragée par un bouquet d’orangers. C’était la nouvelle habitation élevée sur l’emplacement où se trouvait naguère le carbet des peaux rouges.