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MARIE D’ÉNAMBUC.

les esclaves et les engagés ; partage égal. — Et se retirant aussitôt elle referma la fenêtre sans prendre garde à ceux qui ramassaient cette grosse aumône.

— Vive la petite reine ! crièrent plusieurs voix dans la cour. Puis quelques coups de fouet claquèrent en l’air, et tout rentra dans l’ordre et le silence.

À l’heure de la messe, Mme d’Énambuc se leva pour se rendre à la chapelle. Selon l’usage, elle était accompagnée de la plupart des gens de sa maison. En entrant, elle trouva près de la porte M. de Loinvilliers, qui la salua silencieusement, lui présenta l’eau bénite et la conduisit à sa place. La chapelle du fort Saint-Pierre était décorée avec une simplicité digne des premiers temps du christianisme. On n’y voyait ni tableau, ni dorures, ni sculptures précieuses, mais on y mettait chaque jour en profusion des fleurs et du feuillage, les plus beaux dons de la terre. Des branches d’orangers, de vertes palmes, ornaient l’autel à la droite duquel était le prie-dieu de Mme d’Énambuc. La fenêtre, étroite et recouverte d’un ample rideau de mousseline, ne laissait pénétrer qu’un rayon de soleil dont le reflet, en tombant sur les murs d’une blancheur vive, répandait une douce et tranquille lumière. Cette humble église était merveilleusement disposée pour la prière et la méditation. Séparée des autres constructions par une vaste cour, elle s’élevait isolée sur le rempart et dominait la mer, dont le murmure éternel retentissait sous sa voûte.

Mme d’Énambuc s’agenouilla, le front baissé, sur l’appui du prie-dieu. Le comte de Loinvilliers, debout derrière elle, la contemplait avec un avide bonheur. Elle cachait son visage sur son livre d’heures ; il ne voyait que son cou frêle et blanc, et sa longue chevelure, dont les boucles dorées s’échappaient d’un réseau de soie noire. Mais il devinait les larmes qu’elle répandait, et son cœur tressaillait d’une cruelle joie, car il comprenait qu’elle s’était soumise et qu’elle pleurait sur elle-même. Son inflexible amour, son implacable jalousie, triomphaient, et il songeait sans remords à l’espèce de violence qui allait lui livrer cette femme dont le cœur fermé pour lui appartenait peut-être à un autre.

Mme d’Énambuc s’était soumise en effet, car le secret et dernier espoir qui l’avait jusque-là soutenue s’était évanoui. La veille encore elle attendait, il y avait dans son ame une lueur de confiance et de courage ; mais tout à coup cette lueur s’était éteinte. Maintenant tout était fini ; elle pleurait la mort de Maubray, et elle écoutait en