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aller sur le vaste fauteuil de bambou placé au pied de son lit ; il y a dans l’air comme une humidité brûlante qui me pénètre et me donne la fièvre.

— Une fièvre d’inquiétude et de chagrin, murmura le docteur en posant ses longs doigts osseux sur le bras de la jeune femme, qui renversa sa tête pâle sur le dossier du fauteuil.

Tout était silencieux dans les vastes appartemens du fort ; mais, au dehors, l’orage grondait avec une horrible furie, la mer brisait avec un bruit rauque et profond contre les murailles, et ses vagues écumeuses formaient comme une nappe immense qui déroulait incessamment ses plis d’un blanc argenté au milieu des ténèbres de cette lugubre nuit.

Mme d’Énambuc prêta un moment l’oreille à ce tumulte des élémens, et dit avec un long soupir : Heureusement, aucune créature humaine n’est en péril sur cette mer terrible ; les pauvres gens qui ont leurs habitations sur la côte sont en sûreté ici. Quand le beau temps reviendra, nous n’aurons aucun malheur irréparable à déplorer ; mais que cette nuit va me paraître longue, Jésus mon Dieu ! je ne dormirai pas.

— Essayez quelques gouttes de ceci, dit le bon docteur en offrant à Mme d’Énambuc une tasse posée près d’elle sur un plateau d’argent ; vous savez que cette potion calmante vous a procuré parfois un peu de sommeil.

Elle but quelques gorgées avec docilité ; puis, repoussant la tasse, elle murmura :

— Je ne sais ce qui se passe en moi ; j’ai comme le pressentiment de quelque malheur, mon esprit est troublé de mille chimères, le cœur me bat comme si j’étais près d’un grand danger… J’ai peur, docteur ; je vous en supplie, restez près de moi.

— Je ne vous quitte pas, répondit-il avec une affectueuse sollicitude ; allons, madame, reprenez courage, rappelez la fermeté de votre ame, vous en aurez besoin dans les circonstances difficiles où vous vous trouvez ; c’est aux dangers réels et présens qui vous menacent, qu’il faut songer. J’ai pris sur moi de faire avertir le père Du Tertre ; il va venir ; vous avez toute confiance en lui.

— Oui, c’est un homme pieux et plein de lumières ; ses exhortations m’ont souvent consolée ; il connaît les peines secrètes et profondes de mon ame ; il m’aidera à sortir de ces perplexités, de ces anxiétés cruelles. Ses paroles rassureront ma conscience et me donneront la force et l’espoir en Dieu qui sont près de me manquer ;