Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
REVUE DES DEUX MONDES.

GEORGE, à part.

Après tout, elle dit peut-être la vérité. (Haut.) Si le chevalier revenait à la vie, il serait touché de vous entendre parler ainsi, madame.

JULIE.

Si le chevalier revenait à la vie, monsieur, je ne pourrais plus prétendre à son amour, et je ne le voudrais pas, car le devoir a pour les ames élevées d’austères consolations ; mais je me flatte que le chevalier m’estimerait et serait mon meilleur ami.

GEORGE, ému.

Je crois aussi que cela serait si vous le vouliez, madame.

JULIE.

Puisque le sort a tranché le fil de sa vie, je désire du moins que son ami reporte sur moi un peu de cette honnête affection que j’eusse voulu lui faire connaître.

GEORGE.

Oh ! madame, je vous prends au mot avec reconnaissance.

(Il lui baise la main, puis se promène avec quelque agitation.)
JULIE, à part.

Oh ! je te tiens maintenant, et tu m’aimeras toujours ; mais comme par le passé, en pure perte, car un tel lien serait dangereux désormais. La colère et la jalousie se déchaîneraient à la moindre familiarité.

GEORGE, à part, se promenant dans le salon.

Oui, je crois qu’elle a conservé des sentimens élevés et que je puis lui parler. Le moment est venu. (Il se rapproche.) Madame, puisque vous me traitez avec une si généreuse confiance, j’oserai m’enhardir jusqu’à remettre en vos mains un secret où ma conscience est intéressée et mon honneur engagé.

JULIE.

Parlez, monsieur George, parlez-moi comme à une sœur. (À part.) Où veut-il en venir à présent ?

GEORGE.

Je veux vous parler de votre fille. Elle n’est point auprès de vous. Le bruit court dans le monde qu’elle s’est retirée au couvent par vocation religieuse. Vous-même vous le croyez peut-être ?…

JULIE, pâlissant.

À cet égard, monsieur George, je n’ai de comptes à rendre qu’à Dieu, ce me semble !

GEORGE.

Aussi Dieu vous demandera un compte sévère ! permettez à un frère de vous le rappeler.

JULIE, à part.

Peut-on rien voir de plus pédant ? (Haut.) Mon cher monsieur Freeman, j’espère que Dieu trouvera mon cœur pur. Voyons, que vouliez-vous dire ?