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LES RAYONS ET LES OMBRES.

cependant et senti, surtout quand il se retourne vers le passé, comme dans la Tristesse d’Olympio — celle de l’orgueil poétique, grosse corde qui résonne ici pourtant avec un peu plus de modération que dans les Voix intérieures, mais qui aurait encore besoin d’une sourdine ; celle de l’attrait pour les ruines, sentiment complexe, dans lequel se mêlent le respect de la vieille monarchie capétienne et les souvenirs de l’empire ; enfin, et par-dessus tout, l’amour de la couleur, du son, de l’étendue, en d’autres termes, l’adoration du monde matériel, ce que nos voisins appellent le naturalisme.

Tous ces sentimens sont dans M. Hugo parfaitement vrais et sincères. Ils se concilient entre eux et se pénètrent même en plusieurs points, malgré ce qu’ils ont ou paraissent avoir d’opposé. Ainsi, le fanatisme vendéen et l’exaltation napoléonienne trouvent leur point de jonction dans les souvenirs d’enfance et les traditions domestiques. Il ne faut pas, d’ailleurs, demander aux poètes l’unité absolue de sentimens ; on n’aurait ainsi que sécheresse et monotonie. Les émotions les plus diverses peuvent sans dissonance s’allier, s’équilibrer, concerter même. Le cœur admet, comme on sait, les contradictions. Il y a dans cet organe une puissance merveilleuse d’affinité qui des élémens les plus divers sait tirer une résultante pleine d’harmonie. Or, ce qui est vrai du cœur est nécessairement vrai de l’art, et surtout de l’art lyrique, qui n’est que le miroir et l’écho de l’ame humaine.

Mais il n’en est pas des idées comme des sentimens. La raison est bien plus absolue, bien plus inflexible que le cœur. L’esprit n’admet pas les contraires. Les idées ne se fondent pas dans le creuset de l’intelligence, comme les sentimens dans le foyer de l’ame. Ici l’unité ne se fait pas toute seule ; c’est au travail humain de la produire. La critique qui a reproché à M. Hugo d’étendre l’opulente draperie de son langage sur des sentimens qui ne sont pas vrais, et sur des idées qu’une patiente méditation n’a pas eu le temps de rendre siennes, me semble, au moins sur ce dernier chef, avoir raison contre le poète. Ce n’est pas que M. Hugo ne touche à beaucoup d’idées ; au contraire : il prend, notamment dans ce dernier volume, des opinions et des systèmes de toutes mains. Platonisme, mysticisme, panthéisme, catholicisme, toutes ces doctrines lui servent de thèses et se trouvent jetées pêle-mêle, non-seulement dans le courant du volume, mais souvent dans le même morceau, et quelquefois dans la même strophe. Voyez la pièce XXVI, Mille chemins, un seul but, où un matérialisme presque païen revêt çà et là une enveloppe chrétienne et