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d’harmonie sentimentale d’un effet profond et d’un grand charme. Je dis harmonie sentimentale, car je ne trouve pas dans les idées, comme je le montrerai bientôt, le même harmonieux accord qui me plaît dans les sentimens.

Des critiques d’une raison sévère, qui d’ailleurs ont rendu pleinement justice aux grandes qualités de style que M. Victor Hugo possède, et notamment à l’industrieuse souplesse de ses évolutions lyriques, me paraissent avoir été moins justes appréciateurs de ses qualités intimes. Je ne puis convenir que M. Hugo n’applique l’admirable instrument dont il dispose à l’expression d’aucun sentiment humain et vrai, et que, poète purement extérieur et obstinément superficiel, il soit dépourvu de toute sincérité sentimentale ; je ne puis admettre que, depuis le cinquième livre des Odes et Ballades, ce charmant et frais poème, cette aube qui a eu son midi et son couchant, l’auteur n’ait plus rien retrouvé de profondément senti, plus rien de vrai, plus rien de sincère. La lyre de M. Hugo me semble, au contraire, pourvue d’un assez grand nombre de cordes, toutes très franches et très distinctes. L’échelle des émotions que parcourt le poète est aussi variée, aussi étendue, aussi riche que celle d’aucun autre lyrique moderne, y compris Schiller, Goethe et Byron. Comme ceci demande une démonstration, nous allons, si l’on nous le permet, étudier un peu à loisir cette lyre si artistement construite, et, comme un luthier amoureux de son art, démonter l’instrument, objet du litige, pour bien constater la nature et l’état des parties qui le composent.

Je vois d’abord une corde grave et mélodieuse, que nous avons entendue dans les premières odes de l’auteur, et qui est encore aussi vibrante et aussi sonore qu’aux premiers jours, celle des souvenirs d’enfance. À côté, je trouve celle de l’amitié fraternelle, de l’amour filial, j’ai presque dit du culte maternel. Vient ensuite la corde des affections de famille et de la paternité, corde souvent touchée, sur laquelle le poète a exécuté si admirablement, dans les Voix intérieures, le charmant concerto des Oiseaux envolés, et, dans le présent recueil, la pièce intitulée : Mères, l’enfant qui joue, et plusieurs autres. La quatrième est celle de la pitié aumônière, à laquelle on doit, dans les Voix intérieures, la grande et belle pièce Dieu est toujours là, et, dans les Rayons et les Ombres, le tableau si naturel, si saisissant, si triste, des quatre pauvres petits qui pleurent, chantent et mendient. Puis viennent celle de l’amour, quelquefois trop sensuel, quelquefois trop mystique, presque toujours trop personnel, vrai