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n’a pas été écrite, et ses matériaux les plus curieux se trouvent enfouis dans le petit pamphlet de Henri-Estienne, sur le langage français italianisé, dans les poésies de Marot, dans les lettres et documens en prose dus à quelques membres de la célèbre pléiade. L’introduction de la sève espagnole, inoculation bizarre, peu conforme à notre génie national ; ce mélange de pompe sonore, de circonlocutions hasardées, d’ornemens prétentieux, de sentences gourmées, d’inventions fortes et de pensées énergiques, que l’on voit surgir dès le règne de Henri IV et qui se développe magnifiquement avec Pierre Corneille, pour traverser les rodomontades de Cyrano et les facéties de Scarron, n’a pas une généalogie aussi facile à déduire et à analyser. Malherbe et Desportes ne sont pas encore imprégnés de cette saveur castillane ; chez Montaigne, on n’en trouve pas la moindre trace. Sous Anne d’Autriche et sa régence, on voit le cardinal de Richelieu, Mme de Motteville et Cyrano écrire espagnolesquement, Thomas Corneille emprunter quinze volumes de drames aux Espagnols, Pierre Corneille leur emprunter mieux que cela, le fonds héroïque de leur génie national. Balzac imite Baltazar Gracian ; les nouvelles de Scarron tout espagnoles, non-seulement de style, mais d’origine, ravissent tous les esprits. À peine Louis XIV règne-t-il, ce rayon venu de Castille disparaît ; la Grèce domine et corrige à la fois les graces prétentieuses et mignardes de l’Italie et le luxe altier des Castillans. Ce dernier disparaît tout à coup, sans que l’on sache par quelle voie il s’est introduit ni comment il s’est éclipsé.

J’ai dit que Perez, dont l’éloquence est précisément celle de Corneille, avait eu grande part à ce mouvement. L’influence espagnole n’a certes pas été créée par Antonio Perez, mais elle a été importée en France par lui, par ce meurtre si dramatique, par ce tissu de fourberies et de violences que Perez racontait à nos ancêtres et que nous avons redit tout à l’heure d’après lui. Le bannissement d’Antonio a donc été l’accident nécessaire qui devait greffer le génie de l’Espagne sur celui de la France.

Ceux-ci penseront que je fais l’histoire littéraire beaucoup trop romanesque, ceux-là jugeront que je fais le roman trop littéraire. Je convoquerai les uns et les autres, et je ne pourrai m’empêcher de leur dire :

« La synthèse littéraire vous déplaît ; je pense que vous avez grand tort. Vous y voyez la confusion qui brouille tout ; j’y vois l’ordre qui compare tout. Mes amis inconnus, et vous, mes ennemis, dont je ne me soucie guère, je crains que la plupart des idées de ce siècle ne soient des erreurs, entre autres l’idée généralement régnante aujourd’hui, que