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mari, et resta là, le coude appuyé au bras du fauteuil où il était à demi étendu. Ces deux visages ainsi rapprochés formaient un étrange et triste contraste. Le général avait alors environ quarante ans ; une épaisse chevelure noire couvrait sa tête puissante ; sa figure était noble et régulière ; mais la maladie avait éteint le chaud coloris de sa peau bronzée par le soleil des tropiques ; une pâleur livide commençait à s’étendre sur ses traits amaigris ; ses yeux ternes étaient retirés au fond de leurs orbites, et sa haute taille, enveloppée d’une robe de chambre de satin des Indes, ressemblait déjà à un squelette sous son linceul. Sa jeune femme, au contraire, avait ces fraîches couleurs si rares sous le climat ardent des Antilles, et le pur éclat de son teint illuminait sa beauté sereine et douce. Ses yeux d’un bleu mourant, ses cheveux d’un blond pâle retombant en boucles abondantes autour de son visage, donnaient à sa physionomie quelque chose de séraphique. Quand elle croisait les bras sur sa poitrine et s’enveloppait des plis flottans de sa longue robe de mousseline blanche, elle ressemblait à un ange qui vient de replier ses ailes.

— Hélas ! dit-elle en se penchant affectueusement vers son mari, nous sommes tristes aujourd’hui ; mais j’espère que l’année prochaine nous pourrons célébrer plus gaiement cet anniversaire.

Et comme il ne répondait pas, elle reprit d’un air caressant et presque enfantin : — N’est-ce pas que l’an prochain nous aurons ici beaucoup de monde ? Nous danserons, et je veux qu’on parle longtemps du bal que je donnerai aux Mornes. Certainement alors vous ne serez plus malade. Que je serai heureuse quand je vous verrai bien rétabli ! Je ne sais plus à quel saint m’adresser quand je vous vois souffrir ainsi ; mais vous guérirez, vous guérirez promptement, j’en suis sûre : j’ai tant prié Dieu pour vous ! Il me semble que vous êtes mieux ce soir ?

— Oui, ma chère Marie, répondit-il d’une voix faible, je suis mieux en effet ; le vent frais de la mer m’a fait du bien.

Elle se rapprocha encore, et lui prit la main en souriant d’un air rassuré. Il y eut un moment de silence pendant lequel ils furent préoccupés tous deux de pensées bien différentes : elle, ranimée par l’espoir, oubliait ses inquiétudes passées ; lui, frappé d’un pressentiment funeste, regardait l’avenir avec effroi, ou, pour mieux dire, il ne voyait plus d’avenir : il sentait que ses jours étaient comptés, et que leur terme était proche. Les fatigues, les soucis du pouvoir, l’influence d’un climat dévorant, avaient ruiné sa puissante organisation, la mort allait l’arrêter au milieu de sa carrière, et il se détachait