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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

sait même l’admiration pour nos mystères, en général assez insipides, jusqu’à comparer le dialogue d’Isaac et d’Abraham au moment du sacrifice avec les plus divines productions des Grecs. Déjà il s’était occupé à chercher en France des chants populaires. Il s’attachait à imiter Marot, comme plus tard il devait imiter Béranger, et Marot prenait en allemand une teinte mélancolique.

Ich bin nicht mehr was sonst ich war.

Son véritable instinct poétique se montrait par son admiration pour Uhland, dont il a souvent approché dans ses ballades. « Après Goethe, disait-il, aucun poète n’a autant agi sur moi. »

Dans une situation douce et facile, mais sans indépendance et sans avenir, Chamisso n’était pas moins inquiet, moins malade de l’ame et de la tête que par le passé. « Pour être heureux, s’écriait-il, il faut être empereur, artiste, amoureux ou imbécile. » Chamisso n’était rien de tout cela. Il est certaines dispositions chagrines où les contrariétés deviennent des distractions et des soulagemens. Chamisso travaillait à une traduction de l’ouvrage d’Auguste Schlegel sur l’art dramatique. Le libraire fit faillite. « Je me tourmente de cela, dit le traducteur traversé dans son entreprise, et il est bon, vrai Dieu ! que je me tourmente à cause de quelque chose, sans quoi je me tourmenterais à cause de rien, ce qui est la pire manière de se tourmenter. »

Le désir de revoir ses amis de Berlin, le rêve du bonheur domestique le poursuivaient. Jamais il n’y eut de mélancolie moins égoïste et plus honnête que la sienne. Au mois de septembre 1811, il avait été rejoindre à Coppet Mme de Staël, pour lui dire adieu avant de quitter la France. Il trouvait là une tristesse égale à sa tristesse. Aussi sa première lettre datée de Coppet, respire une mélancolie toujours plus profonde. « Je suis vraiment accablé d’une fatigue mortelle. Ce mois et le mois suivant, toute ma vie glissera et m’échappera sans que j’arrive à rien. L’année s’envieillit, les arbres jaunissent, bientôt la neige nouvelle argentera la cime des montagnes. Un mot encore de mes rapports avec mon hôtesse. La quitter en ce moment, ne pas attendre que son sort se dénoue, serait vraiment difficile, car elle est bien malheureuse ; la malédiction atteint ceux qu’elle aime, tous ses amis sont repoussés loin d’elle… » En effet, la persécution qui s’acharnait sur une femme de génie venait de frapper deux personnes qui lui étaient bien chères ; coupables de leur courageuse amitié,