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LES MISSISSIPIENS.

LA MARQUISE.

Ce pauvre duc, il fait des folies pour vous, ma chère ! Savez-vous que ce n’est pas bien de tourner la tête à un homme de cet âge-là ? Il peut en mourir.

JULIE.

Allons donc, maman, vous raillez ; vous savez bien que ce n’est pas de moi qu’il est amoureux.

LA MARQUISE.

De moi, peut-être ? Il y a long-temps que je ne fais plus de passions, mon enfant, pas même celle-là. Mais puisque tu me persiffles, je veux te tourmenter un peu à mon tour. Depuis quelque temps tu vas si souvent dans certaines maisons, et si rarement dans les autres, qu’il y a, ce me semble, quelque chose là-dessous. George Freeman ne nous est pas indifférent, Julie !

JULIE.

Cet homme-là ? quel original !

LA MARQUISE.

C’est ce que disent toutes les femmes, et toutes en raffolent.

JULIE.

Vous croyez ?

LA MARQUISE.

Oh ! je m’y connais.

JULIE.

Il est certain qu’on lui fait mille agaceries. Qu’a donc cet Américain de si séduisant ?

LA MARQUISE.

De beaux yeux, de belles paroles, des façons fort étranges, et, par-dessus tout, la réputation d’être invulnérable aux traits de l’amour.

JULIE.

Quelle prétention ! je ne crois guère à cette vertu-là.

LA MARQUISE.

Il me semble, en effet, qu’il ne vous serait pas difficile de la faire broncher.

JULIE.

Je ne m’en mêle pas.

LA MARQUISE.

Coquette, vous vous laissez adorer ! Je l’ai bien observé, moi. Il ne s’approche de vous qu’avec une émotion…, et vous ne faites pas un mouvement qu’il ne vous suive des yeux. Au reste, tout le monde l’a remarqué aussi bien que moi.

JULIE.

Oui, plusieurs personnes me l’ont dit ; mais c’est une plaisanterie. Et puis, d’ailleurs, que m’importe ?

LA MARQUISE.

Cela fait toujours plaisir. Un homme devant qui ont échoué les coquetteries de toutes les femmes à la mode, devant qui les plus orgueilleuses se font mi-