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aurait pu, tout ce qu’il aurait dû faire ; mais, entraîné par le mouvement irrésistible de la civilisation et par les exigences de sa position, il comprendra peut-être que le temps est venu de substituer à une exploitation égoïste une administration prévoyante et paternelle. Il n’a su commander jusqu’à présent que l’étonnement et la crainte ; il lui faut conquérir la confiance et l’affection de ses sujets, et c’est une carrière toute nouvelle où les premiers pas ont à peine été faits depuis une dizaine d’années.

La domination anglaise dans l’Inde s’est établie par des moyens compliqués et développée par des causes souvent imprévues. La compagnie aspirait sans doute à étendre ses possessions territoriales, d’abord pour la protection et l’affermissement de son monopole, ensuite pour l’accroissement de ses revenus et de son influence politique ; mais elle n’avait pas le pressentiment d’une aussi haute destinée que celle que lui réservait la fin du XVIIIe siècle, et elle a voulu souvent, mais en vain, s’arrêter dans la route où l’entraînaient sa propre ambition et la force irrésistible des évènemens. L’agrandissement de son pouvoir a été au-delà de toutes ses prévisions ; il a dépassé tous les calculs humains.

Parmi les causes immédiates de cet agrandissement, il en est deux très remarquables : l’une est la distance qui séparait les établissemens de la compagnie de la métropole européenne, où résidait le gouvernement suprême, distance de plusieurs milliers de lieues, qui a rendu jusque dans ces derniers temps les communications lentes et difficiles, et, par suite, placé les gouvernemens délégués dans une position comparativement indépendante[1] ; l’autre est le nombre

  1. Aujourd’hui, tout sous ce rapport va changer de face. L’échange des courriers a lieu en moitié moins de temps que par le passé ; le système de communications régulières établi entre l’Europe et l’Hindoustan par la Méditerranée et la mer Rouge au moyen de steamers, bien qu’il n’ait pas encore atteint le degré de perfection dont il est susceptible, a déjà exercé une grande influence sur les relations de la Grande-Bretagne avec l’empire indien, et l’un des avantages capitaux que le gouvernement anglais en a retirés, a été de pouvoir s’entendre avec lord Auckland sur le plan et les moyens d’exécution de la grande mesure qui assure la prépondérance de l’influence anglaise au-delà de l’Indus. Il paraîtrait, au reste, que les idées du président du bureau de contrôle (sir John Hobhouse) et celles de lord Auckland sur la marche politique à suivre à l’égard de la Perse et de l’Afghanistan, dans les conjonctures où l’on se trouvait en 1838-39, s’étaient formulées presque en même temps, et que leurs dépêches respectives à ce sujet se sont croisées. Ce qu’il y a de bien constant, malgré ce qu’on a pu croire et publier à cet égard, c’est que le gouvernement suprême en Angleterre a eu tout le temps de délibérer sur l’opportunité ou l’inopportunité de l’expédition d’Afghanistan, et que lord Auckland a reçu ses