Vraiment, monsieur, vous êtes avec moi d’une amertume singulière, et vous reprenez vos anciennes façons bien à propos pour me faire souvenir de l’horreur avec laquelle j’ai contracté un lien indissoluble avec vous, il y a aujourd’hui seize ans.
Je vous dis, madame, aujourd’hui comme il y a seize ans, que je veux être obéi et que je ne vous conseille pas de résister à mes volontés : voici mon compliment. Maintenant, allez chercher votre fille.
Oh ! je me vengerai quelque jour !… (Elle veut s’éloigner. Une troupe de jeunes filles vêtues de blanc et portant des bouquets arrivent deux par deux et lui barrent le passage. La plus jeune s’approche et commence à lui débiter son compliment.)
« Monsieur le comte et madame la comtesse, permettez-nous de vous exprimer en cet heureux jour la joie que nous éprouvons de vous voir donner plus que jamais l’exemple de l’union et des vertus conjugales qui… »
C’est bien, c’est bien, mon enfant, on ne vous en demande pas davantage ; c’est très bien, je vous remercie.
« C’est toujours avec un nouveau plaisir, madame la comtesse et monsieur le comte, que nous fêtons l’anniversaire du jour trois fois heureux qui a uni pour la vie vos tendres cœurs ; car… »
C’est assez ! quand on vous dit que c’est assez ! Gardez cela pour quand il y aura du monde ; vous venez trop tôt. (Il s’éloigne d’un côté, Julie de l’autre ; les petites filles, déconcertées, se retirent en désordre.)
Scène vi.
Lucette, va un peu voir s’il ne vient personne par la petite allée, afin que je me sauve par là.
J’y vas, mamselle. Ah ! Dieu de Dieu ? comme vous allez t’être heureuse d’épouser M. le duc ! (Elle s’éloigne.)
Ô mon père ! ô ma mère ! je me plaisais encore à douter de mon isolement en ce monde ; à présent, je ne le puis plus… Haïe, méprisée, livrée comme une vile marchandise dont on trafique… Oh ! mieux vaudrait être morte !