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gardée comme la plus redoutable de l’Hindoustan, forme la majeure partie. Le gouvernement suprême se serait vu, d’après les derniers avis, forcé de déposer le souverain de Djodpour, Radjah Mân-Singh, et de prendre en main l’administration de ses états[1].

Il est très probable qu’avant long-temps ceux des princes hindous ou musulmans qui ont conservé quelque indépendance subiront le sort de Mân-Singh, et nous n’hésitons pas à penser que les populations aujourd’hui soumises à l’administration immédiate de ces princes gagneront en général à passer sous la domination directe du gouvernement anglais, qui prendra soin, toutefois, de donner par degrés une part active dans l’exercice du pouvoir à des agens subalternes choisis parmi les indigènes. Si quelque cause extérieure ou quelque haute imprudence politique ne vient pas troubler les habitudes de soumission auxquelles l’Inde est déjà façonnée envers sa superbe protectrice, ces grands changemens s’opéreront sans secousse, et donneront, dans un quart de siècle, un demi-siècle peut-être, à l’empire hindo-britannique le caractère d’unité et de force politique qui lui manque encore. Mais en même temps le flambeau de la civilisation européenne aura éclairé jusqu’aux plus humbles vallons, jusqu’aux derniers hameaux de l’Hindoustan ; la race née du mélange des conquérans européens avec les races indigènes aura crû en nombre, en intelligence de ses besoins et de ses droits, en influence politique, en force en un mot ; les Indiens eux-mêmes, soit musulmans, soit Hindous, se seront familiarisés avec les armes puissantes qui les ont vaincus et réduits à l’obéissance, ils auront compris ce qu’il y a de merveilleux dans l’organisation, la subordination, le concours, ce que l’homme peut faire avec l’intelligence, la connaissance, la volonté. Alors, si l’amour du changement si naturel au cœur humain, comprimé pendant tant de siècles par des institutions fortes et sages à plusieurs égards, se fait jour au travers des castes et se communique des hautes classes à la masse de la population ; si la vie civile et politique leur apparaît tout à coup avec ses grandeurs européennes et son avenir illimité, si l’ambition et l’habileté de quelques hommes donne à ces émotions nouvelles le caractère d’un sentiment national ; alors, disons nous, les Hindoustanis oublieront peut-être qu’ils sont redevables à

  1. Nous ferons observer en passant que la race radjpout présente un caractère d’indépendance, de dignité chevaleresque et de force qu’on chercherait vainement parmi les autres nations ou tribus qui peuplent la vaste étendue de l’empire hindo-britannique. Malgré le contact des Européens, les mœurs des Radjpouts ont conservé leur âpre originalité et leur poésie primitive.