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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

et de détrôner Jupiter. Un autre fragment de ses lettres exprimera avec grandeur et simplicité cet amour à la fois instinctif et abstrait de la nature.

« 11 avril 1838. — Hier, accès de fièvre dans les formes ; aujourd’hui, faiblesse, atonie, épuisement. On vient d’ouvrir les fenêtres ; le ciel est pur et le soleil magnifique.

Ah ! que ne suis-je assis à l’ombre des forêts !

« Vous rirez de cette exclamation, puisqu’on ne voit pas encore aux arbres les plus précoces ces premiers boutons que Bernardin de Saint-Pierre appelle des gouttes de verdure. Mais peut-être qu’au sein des forêts, dans la saison où la vie remonte jusqu’à l’extrémité des rameaux, je recevrai quelque bienfait, et que j’aurai ma part dans l’abondance de la fécondité et de la chaleur. Je reviens, comme vous voyez, à mes anciennes imaginations sur les choses naturelles, invincible tendance de ma pensée, sorte de passion qui me donne des enthousiasmes, des pleurs, des éclats de joie, et un éternel aliment de songerie. Et pourtant, je ne suis ni physicien, ni naturaliste, ni rien de savant. Il y a un mot qui est le dieu de mon imagination, le tyran, devrais-je dire, qui la fascine, l’attire, lui donne un travail sans relâche et l’entraînera, je ne sais où : c’est le mot de vie. Mon amour des choses naturelles ne va pas au détail ni aux recherches analytiques et opiniâtres de la science, mais à l’universalité de ce qui est, à la manière orientale. Si je ne craignais de sortir de ma paresse et de passer pour fou, j’écrirais des rêveries à tenir en admiration toute l’Allemagne, et la France en assoupissement. »

Dans une autre lettre, il exprime l’identification de son être avec la nature d’une manière encore plus vive et plus matériellement sympathique.

« J’ai le cœur si plein, l’imagination si inquiète, qu’il faut que je cherche quelque consolation à tout cela en m’abandonnant avec vous. Je déborde de larmes, moi qui souffre si singulièrement des larmes des autres. Un trouble mêlé de douleurs et de charmes s’est emparé de toute mon ame. L’avenir plein de ténèbres où je vais entrer, le présent qui me comble de biens et de maux, mon étrange cœur, d’incroyables combats, des épanchemens d’affection à entraîner avec soi l’ame et la vie et tout ce que je puis être ; la beauté du jour, la puissance de l’air et du soleil, all, tout ce qui peut rendre éperdue une faible créature me remplit et m’environne. Vraiment je ne sais pas en quoi j’éclaterais s’il survenait en ce moment une musique comme