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gèrement, rien de mieux, mais, une fois engagé, il faut marcher résolument devant soi, sans se défier du but, sans épiloguer sur les moyens. Ainsi se conduisent les peuples qui ont quelque maturité dans l’esprit, quelque étendue dans le regard, quelque décision, dans le caractère.

C’est dans cette ligne d’efforts que nous devrions nous tenir pour la colonisation d’Alger, en laissant là des discussions énervantes, en oubliant le passé, en songeant à l’avenir. Il y va de notre honneur, et non pas seulement de cet honneur qui consiste à persévérer, sous peine d’humiliation, dans une fin que l’on s’est proposée. Il y va de notre honneur, comme agens nécessaires dans le mouvement de la civilisation générale. Quelles que soient les vues mercantiles et personnelles de l’Angleterre il est évident qu’à son insu et par la force des choses, elle exerce aujourd’hui une grande influence sur l’éducation du monde. Ses mœurs, sa langue, sa civilisation, pénètrent partout avec ses produits. L’Asie est presque anglaise ; l’Océanie l’est complètement ; la moitié de l’Amérique a ce caractère. Il ne reste à l’influence française, comme théâtre d’action, que le nord de l’Afrique. Comment pourrait-on penser à l’abandonner, à le discréditer, à l’amoindrir ? Ce n’est pas tout que de passer pour un peuple doué d’initiative, pour d’excellens conducteurs d’idées : il faut que cette faculté trouve sa sanction dans les faits et se prouve par les résultats. Si le terrain est ingrat, la gloire n’en sera que plus grande. De semblables tâches, n’écheoient d’ailleurs qu’à des races dignes de les remplir : la France en cela hérite directement de Rome. Habituons-nous donc à voir sous un jour favorable cette propagande lointaine, qui a valu à l’Angleterre de si belles destinées ; persuadons-nous qu’un grand peuple a besoin de se manifester au dehors, d’y verser les inspirations de son génie, les fruits de son activité ; qu’il n’y a ni honneur ni profit pour un empire à concentrer péniblement son action, à opérer laborieusement sur lui-même, à s’entourer d’une grande muraille. L’isolement social est un système plus funeste encore que ne l’est l’isolement politique.

On voudrait, en vain nous effrayer des jalousies de l’Angleterre. En fait d’entreprises coloniales, l’Angleterre a aujourd’hui tout ce qu’elle peut supporter, et elle commence à comprendre qu’elle ne peut pas suffire seule à l’entière civilisation du globe. Le rôle qu’elle a majestueusement soutenu jusqu’ici est un peu lourd pour ses épaules ; elle sent qu’elle a à la fois charge de besoins, et charge d’ames ; elle