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à peine, comme dernier obstacle, la raison d’économie, tandis que la vapeur dompte les fleuves, accapare le service des côtes et s’empare victorieusement du globe. Le principe est triomphant ; il ne reste plus qu’à en dégager les applications. Or, pour qui a la moindre expérience des guerres maritimes, il est évident que leur plus grande complication naît de l’usage de la voile. Cette mâture menacée par la tempête ou par les projectiles ennemis, ces toiles qui obéissent à des vents indociles, ce gréement lourd et confus, ce réseau aérien dont un boulet compromet l’harmonie, tout cet ensemble constitue moins une force qu’un embarras, et nécessite un personnel qui s’annule dans un rôle purement passif. Que les vaisseaux s’approprient un moteur moins précaire, plus sûr, moins chargé d’accessoires, et à l’instant même tous ces hommes, perdus pour la bataille, se retrouvent et s’utilisent. Il ne reste à bord que des artilleurs et des fusiliers. L’écouvillon ou le mousquet sont dans toutes les mains. Plus de ces accidens subits qui changent l’aspect d’un combat et qui composent l’imprévu de la tactique navale. La guerre devient sur les océans beaucoup plus simple qu’en terre ferme. On va vers l’ennemi ou bien on l’évite ; on s’aborde quand on le veut, et à peu près comme l’on veut. Le courage et les canons font le reste. Ce qu’on y a gagné, c’est une économie d’hommes, car tous sont à bord pour la guerre et non pour la manœuvre, et par suite un avantage évident pour la nation, qui compte plutôt sur la qualité que sur le nombre. L’appauvrissement de l’inscription maritime trouve là son correctif.

Cette thèse du renouvellement complet de la science et de la tactique navales nous conduirait trop loin. Il suffit qu’elle s’agite dans la tête des hommes compétens, d’où, tôt au tard, elle sortira complètement armée. La difficulté de défendre convenablement les parties vulnérables d’un vaisseau à vapeur, la machine et les roues, est un obstacle dont se jouera l’esprit humain. Les routines, les habitudes, seront plus opiniâtres, mais elles céderont devant la grandeur et l’énergie des résultats. La guerre n’a pas encore vu la vapeur à l’œuvre : il est probable que ce merveilleux agent ne s’y montrera pas inférieur à lui-même, et qu’il nous y ménage de nouvelles surprises. Le sentiment de ce fait existe déjà dans la conscience de l’Angleterre, qui paraît le craindre tout en lui cédant. Le Devonport Telegraph parlait dernièrement de la transformation d’un vaisseau de ligne en vaisseau à vapeur, et le paquebot Gorgon, qui fait le service du Levant, peut, avec ses canons-Paixhans du calibre anglais de 120, passer pour l’un de ces essais qui se font sourdement et à notre insu. Dans cette voie,