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TIRSO DE MOLINA.

marier à Madrid. Muni de ces papiers, il n’hésite pas à se présenter à la place du futur époux dans la maison de la fiancée, la belle Sérafine, où ils sont également inconnus l’un et l’autre, et il y obtient un succès si complet, que, lorsque le véritable Mexicain se présente, il est repoussé comme un imposteur. Tout cela donne lieu à une suite d’incidens très piquans, où l’imagination de Tirso se joue avec la gaieté et la force comique qui lui sont ordinaires.

Cependant, tandis que le perfide don Vicente se prépare à consommer sa double trahison, l’amante qu’il a si indignement trompée à Valence, la malheureuse Violante, s’est mise à sa poursuite, et elle est parvenue à retrouver sa trace. Déguisée en villageoise, elle s’est établie dans le village de Vallecas, d’où elle vient chaque matin apporter et vendre aux riches habitans de Madrid des pains délicats et exquis. La maison de sa rivale est, comme on le pense bien, du nombre de celles où elle s’introduit de la sorte, et à force d’adresse et d’artifice, elle réussit à faire naître, pour entraver les projets de don Vicente, des obstacles dont il s’efforce vainement de découvrir la source. Une circonstance inattendue, en donnant à Violante un accès et des intelligences plus faciles dans cette maison, vient singulièrement en aide à ce stratagème. En dépit du costume vulgaire dont elle est revêtue, ses attraits ont touché le cœur du frère de Sérafine, qui, ne s’attendant pas sans doute à éprouver beaucoup de résistance de la part d’une personne de cette condition, s’empresse de lui faire part des sentimens qu’il éprouve pour elle. C’est à cet incident, purement épisodique en apparence, que se rattachent les plus jolies scènes de la Villageoise de Vallecas. Violante ne veut ni accueillir des hommages qu’elle ne peut payer de retour, ni désespérer, par de trop brusques refus, un amant dont le concours peut servir utilement ses desseins. Dans cette situation difficile, elle a recours, pour ne rien compromettre, à toutes les ressources d’une coquetterie d’autant plus raffinée, qu’elle se déguise sous les dehors d’une extrême naïveté. Tantôt feignant de ne pas bien comprendre la galanterie délicate de don Juan, elle y répond avec une affectation de simplicité ignorante et gracieuse qui, tout à la fois, le désespère et le ravit ; tantôt, pressée plus vivement, elle se défend par des saillies imprévues où l’esprit le plus fin et le plus charmant se fait jour à travers la feinte rusticité du langage. Nous voudrions qu’il fût possible de traduire un pareil dialogue. C’est la vivacité de Beaumarchais, c’est ce feu roulant de spirituelles équivoques, de reparties vives, inattendues, rehaussées encore par l’attrait de la poésie et aussi par une vérité de sentiment, par un naturel auquel Beaumarchais, qui visait exclusivement à l’épigramme, n’a jamais aspiré. Nous devons insister sur cette comparaison, parce qu’elle caractérise le mérite principal de Tirso de Molina, parce que des scènes plus ou moins semblables à celles que nous venons d’indiquer se rencontrent dans la plupart de ses ouvrages, parce qu’aujourd’hui même, au théâtre, de la part d’un public peu littéraire et qu’on pourrait croire peu capable d’apprécier de telles beautés, ces gracieux ébats d’une riche imagination, cet emploi merveilleux de la souplesse et des innombrables ressources d’une des plus belles langues du monde excitent encore de véritables transports.