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tableaux, ne se déciderait pas à les exposer aux yeux du public, parviendrait difficilement à son but. La timidité réussit mal à la cour. Déroulez donc votre tableau et pensez qu’on ne peut guérir le mal dont on ignore la nature. — Mais, madame, l’inégalité qui existe entre moi et la personne que j’aime m’épouvante. — L’amour n’est-il pas un dieu ? — Oui, madame. — Parlez donc ; ses lois humilient les monarques sous leur joug absolu et savent égaler aux palais les plus humbles chaumières. Je veux être votre intermédiaire. Dites-moi qui vous aimez. — Je n’ose pas. — Pourquoi hésitez-vous ? Me jugez-vous peu propre à cet office ? — Non, mais je crains, hélas ! — Et si je vous dis son nom, me confesserez-vous que je l’ai deviné ? Est-ce moi, par hasard ? — Oui, madame. — Vous l’avouez enfin. Mais je sais que vous êtes jaloux du comte de Vasconcelos. — Madame, je me désespère en pensant qu’il est votre égal et l’héritier du duc de Bragance. — L’égalité, la sympathie, ne consistent pas dans la naissance de l’amant, mais dans les rapports de l’ame et du cœur. Déclarez-vous, je vous y engage : dans le jeu de l’amour, un peu trop de hardiesse vaut mieux qu’un peu trop de timidité. Il y a long-temps que je vous préfère au comte de Vasconcelos.

Don Dionis, poussant un cri. — Qu’entends-je, juste ciel !

Madelaine, feignant de se réveiller. — Oh ! mon Dieu, qui est-ce donc ? comment êtes-vous ici, don Dionis ?

Don Dionis. — Madame…

Madelaine. — Que faites-vous ici ?

Don Dionis. — J’étais venu pour donner leçon à votre excellence, je l’ai trouvée endormie, et j’attendais son réveil.

Madelaine. — Il est vrai, je m’étais endormie, et cela m’est si peu ordinaire, que j’en suis toute surprise. (Elle se lève.)

Don Dionis. — Si, dans votre sommeil, vous avez toujours de semblables songes, je suis bien heureux.

Madelaine, à part. — Le ciel soit loué ! le muet parle enfin !

Don Dionis. — Je suis tout tremblant,

Madelaine. — Vous savez ce que j’ai rêvé ?

Don Dionis. — Il m’a été facile de le savoir.

Madelaine. — Vous êtes donc un autre Joseph ?

Don Dionis. — Je l’ai égalé en réserve, en timidité, mais non dans son talent pour la divination.

Madelaine. — Expliquez-moi donc comment vous avez connaissance de mon rêve ?

Don Dionis. — Votre excellence parlait à haute voix dans son sommeil.

Madelaine. — Est-il possible ?

Don Dionis. — Et je l’ai entendue prononcer en ma faveur un arrêt qui rendrait ma félicité complète, si elle le confirmait, maintenant qu’elle est réveillée.

Madelaine. — Je ne me souviens de rien. Dites-moi ce que vous avez entendu, peut-être la mémoire me reviendra-t-elle.