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tissement agit pourtant d’une façon profitable dans les temps de crise financière, parce qu’en achetant alors à des cours déprimés, il relève le crédit public tout en bénéficiant sur la dépréciation des valeurs. Mais comme son fonds de roulement gagne en puissance à chaque acquisition qu’il fait, il est forcé de l’utiliser à tous prix. Il enchérit donc sur tous les acheteurs qui se présentent à la Bourse, et exaltant sans cesse les prétentions des vendeurs, il rapproche artificiellement la limite où l’état ne peut plus raisonnablement acheter ; dès-lors la machine absorbante demeure inactive. Il n’est donc pas parfaitement exact de dire que l’amortissement peut éteindre un emprunt ; il n’en saisira jamais qu’une faible partie, et à des conditions de plus en plus onéreuses. Aussi n’est-il déjà plus qu’un levier dont se servent les hommes d’état pour soulever les fonds au-dessus du pair, et justifier au besoin l’abaissement du taux de la rente par une conversion au-dessous du pair. Les services que rend l’amortissement en cette circonstance sont même si chèrement payés, que d’habiles financiers réclament chez nous sa suppression et que depuis douze ans l’Angleterre a abandonné un système dont elle avait la première préconisé les bienfaits.

On a fait avec justesse la remarque que le fléau des dettes publiques est pour les peuples la punition du crime d’égoïsme. Une série d’emprunts, a-t-on dit, rejetant sans cesse sur l’avenir la charge du présent, finit par agglomérer une dette perpétuelle, plus onéreuse par ses seuls intérêts que ne l’eût été un sacrifice une fois fait au jour de la crise. Par exemple, l’Angleterre acquitte environ 780 millions de fr. par an, et payait, il y a vingt ans, plus d’un milliard : certes, il n’est pas de guerre ou d’œuvre nationale qui lui ait coûté par année une pareille somme. Si donc, au lieu d’emprunter successivement, elle avait décrété chaque fois une contribution extraordinaire, elle n’eût pas payé davantage en dernier résultat, et ne gémirait pas aujourd’hui sous le poids d’une dette de 20 milliards en capital[1]. Partant de ce principe, plusieurs économistes anglais, et notamment Hutchinson, membre du parlement sous George Ier, Wilks en 1821, la Revue d’Édimbourg en 1827, et un publiciste anonyme en 1832, ont proposé des plans pour la liquidation intégrale ou partielle de la dette, au moyen d’une contribution une fois payée. Le sacrifice imposé aux propriétaires se trouverait compensé par un affranchissement immédiat de la plupart des impôts, par la diffusion d’un capital énorme qui élèverait le prix de toutes les propriétés, et communiquerait à l’industrie un merveilleux mouvement d’accélération. Il ne serait pas permis de présenter un plan aussi vaste sans faire connaître les engagemens, les ressources, les forces productives d’un pays, sans faire palper un à un les organes qui entretiennent la vie nationale. Un dernier partisan de la liquidation, M. Pablo de Pebrer, a parfaitement compris cette nécessité, et il a appuyé son travail de tant de faits, d’aperçus théoriques, de calculs et de pièces officielles, qu’il a pu à bon droit lui donner

  1. En 1838, elle s’élevait à 762,273,188 livres sterling pour la dette consolidée, plus 28 à 30 millions sterling pour la capitalisation de la dette flottante.