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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

tuait néanmoins que la plus faible partie du fardeau. Dans ces temps d’inexpérience financière, une sorte de dette flottante, beaucoup plus onéreuse, résultait de l’anticipation sur les revenus, de l’appointement des offices mis en vente, des exemptions, des concessions de monopoles, et d’une foule d’opérations qui n’étaient au fond que des emprunts usuraires.

En dépit des aventureuses théories qui préconisent les gros budgets et les splendides emprunts, les peuples s’obstinent à vénérer les hommes d’état qui ont prix à tâche d’alléger les charges communes. Si c’est là un des mille préjugés de la foule, comme certains économistes l’on prétendu, c’est à coup sûr un de ceux qu’il faut respecter. Pourquoi la reconnaissance nationale a-t-elle inscrit le nom de Sully parmi ceux des plus grands hommes ? C’est surtout parce que ce rigide économe avait pour programme d’arriver par la réduction des dépenses à celle des impôts. On ne créa pas de rentes nouvelles sous son ministère, et on obtint même une diminution sur la somme des engagemens antérieurs par une révision sévère des titres. Après la mort de Henri IV, la réserve en numéraire amassée par Sully, et surtout les traditions administratives qui se conservèrent malgré sa disgrâce, procurèrent encore quelques années tolérables. Mais depuis la domination de Richelieu jusqu’à l’avénement de Colbert, peu d’années se passèrent sans qu’on fût obligé d’avoir recours aux ressources extraordinaires. Pendant un demi-siècle, l’histoire financière de la France n’offre plus qu’une alternative d’emprunts ruineux et de banqueroutes indécentes : fût-il possible d’en établir la succession par des chiffres, il n’y aurait pas d’utilité à le faire, puisque aucun système ne présidait à la gestion de la fortune publique, et que les affaires d’argent n’étaient, à vrai dire, qu’une guerre ouverte entre une poignée d’ignobles traitans et les agens d’un pouvoir sans pudeur qui confondait le droit et la force. Des usuriers ne rougissaient pas de demander 25 pour 100. Le ministre acceptait, car il avait ordre de mettre sur pied une compagnie ou d’organiser quelque passe-temps royal ; mais il ne tardait pas à se donner quittance à lui-même par une ordonnance de réduction, et pourtant, en dernier résultat, l’avantage demeurait toujours au prêteur. Semblable à la fatalité des temps antiques, sous laquelle il fallait inévitablement succomber, le dieu fatal des temps modernes, l’argent, ne perd jamais ses droits : il faut tôt ou tard subir la loi qu’il daigne dicter par l’organe de ceux qui se sont voués à son culte. Déjà, au XVIIe siècle, on connaissait l’art perfide d’éluder la loi qui fixe le maximum de l’intérêt en achetant une créance à un cours très inférieur au chiffre énoncé dans le contrat. Au commencement du XVIe siècle, le taux légal du placement était le denier dix, c’est à dire qu’on pouvait acquérir légitimement une livre de rente pour un capital de dix livres. Ce taux fut porté sous Charles IX au denier douze, sous Henri IV au denier seize, sous Louis XIII au denier dix-huit, sous Louis XIV au denier vingt, ou, comme on dirait de nos jour, à 5 pour 100. Mais les limites tracées par la loi furent toujours franchies avec effronterie, et Colbert lui-même, aux meilleurs jours de son administration, n’obtint jamais des secours à moins de 10 pour 100.