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REVUE DES DEUX MONDES.

guirlandes, des écussons, des draperies ! Sur ces gradins en amphithéâtre se placera l’orchestre. Ma fille et son mari seront sur cette belle estrade. C’est ici qu’ils couronneront la rosière. Et, avec cela, un temps magnifique. Oh ! toute la cour y sera ! Je parierais gros que le régent lui-même,… ou tout au moins une des princesses ses filles, y viendra.

LE DUC.

Eh ! pourquoi pas ? Votre gendre est fort bien en cour à l’heure qu’il est, et pour cause !… Pour qui ce fauteuil de velours à crépines d’or ?

LA MARQUISE.

Et pour quel autre que le bienfaiteur, le sauveur, le prestidigitateur écossais Law ? C’est aujourd’hui l’homme de la France. Et quelle fête un peu belle pourrait se passer de sa présence ?

LE DUC.

Quelle fortune un peu solide pourrait se passer de son appui ?

LA MARQUISE.

Cela, nous l’avons.

LE DUC.

En êtes-vous bien sûre ?

LA MARQUISE.

C’est à charge de revanche, car certainement Law n’a pas moins besoin de nos fonds que nous de son crédit.

LE DUC.

L’un me paraît plus certain que l’autre… Enfin ! ça commence magnifiquement, et je souhaite que ça finisse de même… Eh bien ! marquise, qui nous eût prédit, le 13 octobre 1703, que nous célébrerions aussi gaiement et avec autant d’éclat, en l’an de grâce 1719, l’anniversaire du mariage de Julie ? Ce mariage ne s’annonçait pourtant pas sous d’heureux auspices ; tout était larmes et désespoir, gémissemens et syncopes, quand nous conduisions la victime à l’autel. Le soleil même ne brillait pas comme aujourd’hui ; ce qui n’empêchait pas que mes jambes ne me fissent moins mal… Ah ! j’étais encore jeune alors.

LA MARQUISE.

Vous le serez toujours.

LE DUC.

C’est pour que je vous en dise autant, railleuse ?

LA MARQUISE.

Non-seulement cela, mais je prétends ne jamais mourir.

LE DUC.

Je crois bien ! qui est-ce qui meurt ?

LA MARQUISE.

Ah ! ce pauvre chevalier pourtant !… Savez-vous que depuis cinq ans je n’ai pas passé un seul anniversaire de ce singulier mariage sans penser à lui ?