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LA SICILE.

putait quelques fruits gâtés à leur maigre bétail, et des enfans tellement défigurés par la saleté et les privations, qu’on ne pouvait distinguer leur peau des lambeaux grisâtres qui la couvraient à peine. À Leonforte, la détresse des habitans était la même et ils restaient couchés pêle-mêle sur le seuil de leurs misérables maisons, dans une oisiveté forcée. Une mine de soufre qui se trouve dans le voisinage avait été abandonnée et sur ce sol où gisent le bitume, l’asphalte, le pétrole, où l’olivier et les grains de toute espèce se trouvent en abondance, des milliers de malheureux mouraient de faim.

Je me suis enquis souvent des causes de la misère qui règne ou qui régnait dans cette partie de l’île, quand je la visitai il y a deux ans, et j’en suis venu à l’attribuer à la fois aux habitans, aux circonstances et à l’administration. Dans cette petite ville de Leonforte, par exemple, et sur son territoire, l’exploitation des minières de soufre et de bitume, l’agriculture et le travail des fabriques pouvaient occuper bien des bras ; mais l’hôte qui me logeait exerçait la profession de fabricant de vases de terre cuite, et un nouvel impôt sur l’argile l’avait forcé de renoncer à cette industrie ; le mauvais système des jachères laissait en friche un tiers des propriétés ; l’argent manquait aux propriétaires pour exploiter leurs mines, et, pour comble de détresse, le choléra ravageait le pays. Plus de deux cent cinquante personnes avaient péri, en peu de jours dans cette petite ville, déjà bien dépeuplée, et la basse classe, manquant de tout, réduite à vivre de fruits malsains, ne pouvait rien faire pour se préserver du fléau.

Dans les petites villes et dans les campagnes de la Sicile, les classes inférieures se composent des laboureurs et des ouvriers qui travaillent aux mines. Voici ce que j’ai recueilli, sur les lieux même, touchant les différentes conditions de leur existence. Ce qu’on peut nommer la population agricole se divise en trois classes : les borgesi, les inquilini ou sous-locataires ; et les contadini ou paysans. Les borgesi peuvent encore se diviser en deux sections ; la première embrasse les barons ou les nobles de tous rangs qui vivent sur leurs terres, et qu’on peut comparer aux statesmen du nord de l’Angleterre. Ils cultivent leurs propres champs ; à Palerme, à Messine, on les voit surtout adonnés à la culture des orangers et des limoniers, et, dans le district de Caltagirone, à celle des céréales. La seconde, comprend les gabilotti, ou intermédiaires entre les propriétaires, et les laboureurs. Les sous-locataires se divisent en censuarii, qui louent par bail emphytéotique, et les metatieri ou métayers.