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crête des montagnes, puis au-dessous les teintes vertes des pâturages qu’on trouve sur les chaînes secondaires, puis plus bas encore les flancs jaunes et blancs des soufrières, des mines de sel gemme et des carrières de marbre blanc ; et, au dernier plan, couraient les lignes argentées des ruisseaux et des torrens qui fuient entre les plus basses collines et se répandent dans les plaines. Tournant enfin mes regards vers la mer Ionienne, j’aperçus au plus haut du ciel, dominant toutes les montagnes et remplissant tout un côté de l’horizon, l’immense cime couverte de neige du vieux roi des volcans, de l’Etna. En voyant l’Etna, on est de l’avis de Spallanzani, qui, dans sa nomenclature, nomme le Vésuve un volcan de cabinet !

Dès qu’on a vu l’Etna de ce point central de Castrogiovanni, on ne le perd plus de vue ; et soit qu’on remonte de Catane à Messine, soit qu’on descende vers le midi de l’île, par les vallées du centre ou le long du rivage, à Augusta, à Syracuse, à Noto, au cap Negro, l’Etna reparaît sans cesse devant vos yeux, vous montrant une de ses faces, ou présentant sa cime blanche au-dessus des autres montagnes. De la mer, près du cap Santa-Croce, sous la citadelle d’Augusta d’où l’on découvre toute la baie de Catane, j’ai vu l’Etna dans tout son développement, et sans les interpositions des autres montagnes qui en dérobent souvent la base. L’effet en est prodigieux, et on ne peut s’en faire une idée si on ne l’a pas vu, qu’en se figurant une pyramide dont la base serait de dix lieues. On peut affirmer du moins que, depuis le rocher de Taormine jusqu’au lac Gurrita, de là à Troïne, de Troïne à Centorbi, de cette ville à Catane, et de Catane au roc de Taormine, c’est-à-dire sur une étendue de terrain de soixante lieues de tour, tout n’est que laves et cendres vomies par l’Etna. Dix heures avant d’arriver à Catane, nos chevaux enfonçaient déjà jusqu’à mi-jambes dans la cendre brune et fine que le volcan a répandue autour de lui ; et, en sortant de cette ville pour aller à Messine, nous voyageâmes un jour et une nuit à travers les laves, suffoquant au milieu de ces émanations cinéraires, et labourant des pieds de nos montures les scories friables dont se forme la terre végétale de cette partie si fertile du sol sicilien.

À Leonforte, ville également perchée sur un pic immense, vis-à-vis d’un autre roc perpendiculaire où se trouve la ville d’Azaro, je vis l’Etna encore plus gigantesque ; mais déjà le spectacle de la misère publique me frappait plus vivement que toutes les magnificences du sol. À San-Philippo-d’Argiro, à Regal-Buta, qui sont aussi sur des cimes, je trouvai de malheureux habitans demi-nus, dont la faim dis-