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LA SICILE.

et les émanations chaudes du rivage demi-africain y mêlaient une teinte d’or. À notre droite et derrière nous, se montraient de grandes ombres que formaient sur l’horizon le mont Pellegrino et les hautes montagnes qui se dessinent au-delà de Palerme, et devant nous s’ouvrait la route de Vallelonga, bordée d’Opuntii aux longues membrures grises et décharnées, qui ressemblaient, dans la clarté confuse de l’aurore, à des haies poudreuses élevées avec des ossemens humains. À chaque moment, nous entendions les tintemens des lourdes clochettes et le bruit de la secousse des chaînes qui pendaient aux bâts des mulets que chassait devant lui un homme monté sur un cheval maigre et qui était lui-même couvert d’un manteau noir doublé de blanc, dont le capuchon conique lui couvrait le front jusqu’aux yeux. Quelquefois ces spectres voilés psalmodiaient à mi-voix, sur un ton plaintif, une chanson sicilienne, et il était impossible de ne pas se livrer à des pensées mélancoliques, en entendant des paroles du genre de celles-ci, dont le rhythme, l’accent et l’idiome s’accordaient si bien avec tout ce qui passait devant nos yeux : Sti silencio, sti muntagni, sti vallati, l’ha criati la natura pri li cori inamurati[1]. Souvent aussi des moines déchaux de la Merci et d’autres religieux passaient sur leurs mules comme des ombres, et nous en trouvions d’autres immobiles près d’informes piliers mauresques, couverts de mousse, d’où découle une onde fraîche qui s’élève d’elle-même du sol, grace au simple et ingénieux procédé dont le génie des Arabes a doté la Sicile. Peu à peu, le soleil qui se levait nous montra des champs d’oliviers garnis de pampres, et une riante verdure, qu’on apercevait dans les intervalles d’un bois d’aloès et de figuiers d’Inde, jusqu’au moment où nous arrivâmes aux montagnes, où la nature change d’aspect.

Là, il semble qu’on voyage dans un cratère, et sans la splendeur du ciel qui se déploie sur votre tête, et la route admirable qui coupe ces masses de rochers, on se croirait perdu dans les entrailles d’une mine. Je ne puis comparer cette route, pour sa beauté, qu’à celle qui traverse les deux Calabres, la principauté de Citra, et s’étend de Villa-Giovanni jusqu’à Salerne. Imaginez une large chaussée, construite en mille endroits sur des aqueducs de marbre, jetée en d’autres sur des rochers qui bordent d’immenses précipices, dominant les gorges, les torrens, tournant autour des pics où sont construites les

  1. Ce silence, cette verdure, ces montagnes, Dieu a fait tout cela pour les cœurs amoureux.