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nomma, sur sa réputation et sans qu’il l’eût demandé, bibliothécaire de l’Arsenal en remplacement de l’abbé Grosier qui venait de mourir. Un nouveau cercle d’habitudes se forma. La jeunesse, quand elle se prolonge, est toujours embarrassante à finir ; rien n’est pénible à démêler comme les confins des âges (Lucanus an Appulus, anceps) ; il faut souvent que quelque chose vienne du dehors et coupe court. Dans sa retraite une fois trouvée, au soleil, au milieu des livres dont une élite sous sa main lui sourit, la vie de Nodier s’ordonna : des matinées studieuses, liseuses, et de plus en plus productives de pages toujours plus goûtées. Je me figure que bien des journées de Le Sage, de l’abbé Prévost vieillissant, se passaient ainsi. Les travaux même non voulus, les heures assujetties dont on se plaint, gardent au fond plus d’un correctif aimable, bien des enchantemens secrets. À en juger par les fruits plus savoureux en avançant, il faut croire que la fatigue intérieure et trop réelle se trompe, s’élude, dans la production, par de certains charmes. Je ne sais quel penseur misanthropique a dit, en façon de recette et de conseil : « Un peu d’amertume dans les talens sur l’âge est comme quelque chose d’astringent qui donne du ton. » Assez d’écrivains éminens en ont eu de reste : ils n’ont pas ménagé cette dose d’astringent ; Nodier, lui, en manque tout-à-fait, et pourtant sa veine de talent a plutôt gagné, elle s’est comme échauffée d’une douce chaleur, en déployant au couchant la diversité de ses teintes. Si de tout temps il y eut en sa manière quelque chose qui est le contraire de la condensation, ces qualités élargies n’ont pas dépassé la mesure en se continuant, et elles ont rencontré, pour y jouer, des cadres de mieux en mieux assortis. Toutes les fois qu’il reproduit des souvenirs ou des songes de sa jeunesse, Nodier écrivain reprend une sève plus montante et plus colorée. Séraphine, Amélie, la fleur de ces récits heureux, l’ont assez prouvé : qu’on y ajoute la première partie d’Inès, on aura le plus parfait et le dernier mot de sa manière. Qu’on ne dédaigne pas non plus, comme échantillon final, deux ou trois dissertations de bibliophile, où, sous prétexte de bouquins poudreux, il butine le joli et le fin : il y a tel petit extrait sur la reliure moderne, qui commence, à la lettre, par une hymne au rossignol.

En 1832, ses œuvres complètes, et pourtant choisies encore, parurent pour la première fois, et vinrent déployer en une série imposante les titres jusqu’alors épars d’une renommée qui dès long-temps ne se contestait plus. En 1831, l’Académie française, réparant de trop longs délais, le choisit à l’unanimité en remplacement de M. Laya. Nodier, qui s’était pris tant de fois de raillerie au célèbre corps, fut